Ce que je regrette un peu avec les adaptations de jeu société en jeu TV, c’est que ce sont quasi-uniquement des « grands classiques » que l’on voit être adaptés (plus ou moins librement) : le Trivial Pursuit (un peu trop de fois à mon goût, d’ailleurs…), le Serpents et échelles (pour Mokshû Patamû), le Morpion (pour L’académie des 9), la Bataille Navale (qu’on va traiter aujourd’hui), le Cluedo (qu’on traitera ultérieurement)… bon, certes, on a aussi eu le moins connu Place de la loi, qui a servi de matériau de base au tout aussi peu connu Légal pas légal.
Bref, dans l’ensemble, des jeux qui sont divertissants ; mais dont je me suis un peu lassé avec le temps, et pour lesquels je trouve le concept un peu trop simple en comparaison de ce qui a pu être développé par la suite : Carcassonne, 7 Wonders, Décrypto, It’s a wonderful world, Underwater cities, et j’en passe.
Mais bon, je reconnais aussi que, d’une part, la majorité des exemples que je cite date d’une époque plus récente, et surtout d’une époque où les jeux TV ne puisaient plus trop leur inspiration de ce milieu ; et, d’autre part, que le grand public n’est pas composé exclusivement de geeks du jeu de stratégie, et n’a pas forcément envie de passer 20 minutes à comprendre les règles d’un jeu, donc qu’il vaut mieux adapter des concepts suffisamment simples.
Bref. Case K.O. et Touchez, gagné ! sont deux « adaptations » de la Bataille Navale (oui, le terme mérite des guillemets, on y reviendra…), diffusées par TF1 durant les années 90.
Le premier était diffusé pendant l’été 1996 et présenté par Jérôme Anthony ; le second de septembre 1997 à mai 1998, avec une interruption d’un mois, le temps de remplacer Olivier Chiabodo (qui n’aura eu le temps d’animer qu’une petite quinzaine d’émissions, à cause de sa mise à l’écart liée à « l’affaire des trois doigts » d’Intervilles) par Alexandre Delpérier.
En fait, je parle de deux jeux, mais finalement, Touchez, gagné ! est plutôt à considérer comme une nouvelle version de Case K.O., étant donné qu’elles reposent sur le même principe, et diffèrent principalement sur quelques règles ça et là. Je ne sais pas trop ce qui a motivé TF1 à renommer le programme pour l’occasion (en tout cas, pas par le fait de passer à une ambiance à la Reichmann comme Crésus/LDCDM ou 1 contre 100/Au pied du mur… Dieu merci) ; mais bon, je n’étais ni employé chez Glem (la société de production du programme) ni directeur des programmes de TF1 à cette époque-là (et ça aurait été d’autant plus compliqué en ayant seulement 4 à 6 ans…).
Bref, si j’ai besoin de parler du concept de base en lui-même, je parlerai par défaut de Case K.O. (CKO en abrégé) ; et si je parle plus spécifiquement de l’un des deux jeux, je le préciserai. On reviendra de toute façon sur les différences entre les deux en temps voulu.
La bataille navale : une question de stratégie !
Mais avant de nous pencher plus en détail sur les adaptations en question, penchons-nous d’abord sur le matériau de base, afin d’expliquer ma « déception » quant au parti pris par CKO pour l’adapter.
Bon, cela dit, le matériau de base, vous le connaissez : deux joueurs s’opposent, chacun avec une grille dont les lignes et les colonnes sont numérotées. Chaque joueur commence d’abord par placer ses bateaux, de différentes longueurs, sur sa grille, comme il le souhaite. Puis, tour à tour, l’adversaire annonce une position, et le joueur doit annoncer si l’un de ses navires a été touché (voire coulé s’il a été entièrement détruit), i.e. s’il avait placé l’un de ses navires en partie sur la case annoncée. Le but étant évidemment de couler toute la flotte de l’adversaire.
Je le précise, car ce n’est pas un jeu complètement hasardeux, comme on aurait pu le penser.
D’une part : on peut se dire qu’il y a un léger côté psychologique dans la façon de placer ses bateaux, en essayant de trouver des emplacements auxquels l’adversaire ne penserait pas en premier.
Et d’autre part : l’intérêt d’avoir des bateaux qui occupent plusieurs cases en longueur diminue le côté hasardeux des choix. En effet, quand on touche un bateau sur une case, on sait qu’au moins l’une des cases contigues va être remplie elle aussi, et qu’on a tout intérêt à en choisir une au tour suivant…
Dans cette adaptation de Fort Boyard en tant que Duel du Conseil, par exemple, l’intérêt est très réduit, puisqu’on n’a qu’une grille de 9 cases au total, et un bateau qui n’en occupe qu’une seule… donc là, à part le côté psychologique du « Où a-t-il bien pu placer son bateau ? », il n’y a que peu voire pas de stratégie…
Alors, tout ce que je viens de dire, ça n’a rien d’extraordinaire pour autant ; et même avec la présence de réflexion, décision et stratégie, ce n’est clairement pas le jeu qui me viendrait à l’esprit en premier si je devais citer un jeu de société avec ces qualités-là auquel j’aurais envie de jouer, là, tout de suite.
Cependant, ça suffit tout de même à en faire un concept suffisamment étoffé pour passer correctement en tant que jeu de société.
En revanche, je peux vous citer une « adaptation » en tant que jeu de logique, qui se joue en solo, et qui me botte beaucoup plus.
Dans celle-ci, le but est toujours de retrouver les bateaux cachés dans la grille ; mais à la place de coordonnées, les chiffres sur les côtés indiquent le nombre de cases occupées par des bateaux sur chaque ligne/colonne, sachant que deux bateaux ne peuvent pas se toucher (y compris en diagonale).
Il n’est donc plus du tout question de stratégie ici, mais de réflexion pure. C’est d’ailleurs dommage que ce ne soit pas aussi répandu, ça fait partie de ces jeux de logique plutôt cools qui permettent de changer un peu des Sudokus.
Pour en savoir plus sur cette version-là : https://www.educmat.fr/categories/jeux_reflexion/fiches_jeux/navale/index.php
Cela étant, pourquoi est-ce que je me suis senti obligé de vous préciser tout ça ?
Eh bien, c’est parce que CKO… fait quasi-complètement passer à la trappe tout le côté stratégique du choix des cases.
Alors oui, on a bien des grilles et des repères numérotés, afin que les candidats puissent choisir une case à chaque fois. En revanche, la plupart du temps, leurs choix seront dictés au mieux par un choix « stratégique » qui n’a pas grand-chose à voir avec le principe de base ; au pire par le pifomètre, comme les tirages de boules de Motus…
D’ailleurs, même si les deux équipes disposent chacune de leur grille (du moins pendant la première moitié du jeu), l’idée n’est même pas de viser une position adverse pour tenter de couler quelque chose.
Donc, ouaip, tout ce que CKO et la Bataille navale ont en commun, c’est le fait de faire s’opposer deux équipes, et de choisir des cases dans une grille en donnant une position (et très vaguement la finale, on y reviendra). Le côté stratégique est en revanche presque complètement mis au placard, et c’est plutôt dommage.
Mince, j’ai même envie de dire que ce titre, « Case K.O.« , est un peu mensonger, vu que le but n’est pas de mettre l’adversaire K.O. en choisissant des cases… en fait, c’est peut-être pour ça qu’ils ont choisi de changer le titre en 1997, finalement…
D’ailleurs, avec des grilles de seulement 4×3 cases, ça reste limité pour faire de la stratégie.
Après, ça ne va pas faire de CKO un mauvais jeu non plus : d’une part, car le matériau de base n’est pas non plus si extraordinaire que ça pour le mettre sur un piédestal ; d’autre part, car CKO arrive quand même à être intéressant à sa manière.
Mais bon, c’est juste histoire de dire que je ne voyais pas particulièrement l’intérêt pour le jeu de rappeler le matériau de base, si c’était pour en faire une « adaptation » aussi libre et n’en reprenant pas spécialement les subtilités.
Les deux premières manches
Pour les premières manches, deux équipes (deux adultes et un enfant) vont s’affronter.
L’animateur posera des questions (de différents types, j’y reviendrai) afin que l’une des équipes prenne la main. Ca se joue à la rapidité, au buzzer ; si une équipe n’a pas la bonne réponse, l’autre peut tenter ; si personne ne l’a, on pose une autre question.
Bon, pour les adaptations de jeux de société, c’est un peu une constante : au lieu de jouer au tour par tour, on aime bien poser des questions de rapidité pour savoir qui va jouer. Ce n’est pas une mauvaise chose, le tour par tour pouvant parfois être désavantageux (surtout dans le cas du Trivial Pursuit d’ailleurs) ; et la culture générale étant souvent présente dans les jeux TV.
En outre, CKO propose différents thèmes pour ses questions, selon la manche. Ainsi, on peut avoir :
- les « Pourquoi » : questions de type QCM à 3 propositions de réponse, portant sur des anecdotes diverses et variées ;
- les indices : selon un thème donné, 3 indices sont divulgués et les candidats doivent en déduire la réponse recherchée ;
- le blind-test : toutes les chansons sont sur un thème donné, il faut reconnaître l’artiste et donner le titre exact pour prendre la main.
J’imagine que la liste ne doit pas être exhaustive, n’ayant pu rattraper qu’un seul épisode ; en tout cas, je ne serais pas étonné qu’il y ait d’autres thèmes.
Bon, ça ne casse pas des briques non plus, ces thèmes étant plutôt basiques… mais au moins, ça apporte de la variété à l’émission.
Quand une équipe a pris la main, elle peut donner les coordonnées d’une case de la grille, qui sera dévoilée, laissant apparaître un élément de l’image cachée derrière.
Une fois la case dévoilée, l’équipe peut (ou non) faire une proposition de réponse pour dire ce que représente l’image (ça peut être une expression, une série…), à la manière d’une bonus Catchphrase. Si elle se trompe ou refuse de proposer quelque chose, la manche continue.
Si elle donne la bonne réponse, la manche s’arrête, et on retourne chaque case choisie par l’équipe, qui dévoilera soit un cadeau, soit une torpille (on y reviendra).
Bon, vous l’aurez compris, il n’est pas vraiment question de Bataille navale là-dedans, mais plutôt d’un jeu façon Étoile mystérieuse de LDCDM (ou de jeux façon télé-tirelire où on retire une case et où ceux qui appellent doivent faire une proposition…) pour lequel on a un peu mis les formes.
Ca reste cependant un bon principe… et j’oserais même dire qu’il y a tout de même un petit peu de stratégie derrière, dans la mesure où si l’équipe a la bonne réponse, elle peut choisir de s’arrêter là et garder un nombre de cadeaux garanti ; ou bien tenter de continuer pour en gagner plus, mais au risque de se faire prendre la main par l’autre équipe et de perdre la manche. Ca rappelle un peu LRDLF, lorsqu’on a l’énigme, mais qu’on veut tenter de capitaliser plus d’argent en tournant à nouveau la roue.
Notons toutefois un détail un peu stupide : les deux équipes jouent bien sur la même image ; mais chaque équipe doit dévoiler la sienne… alors que l’image adverse est pourtant visible.
Alors, oui, je pense que ça a été conçu comme ça, parce qu’il fallait qu’on distingue les cases choisies par les différentes équipes… mais on aurait très bien pu les faire jouer sur la même grille, en entourant les cases dévoilées par la couleur de l’équipe qui les a choisies.
Parce qu’en l’état, c’est quand même un peu perturbant de voir deux grilles avec la même image, qui ne sont pas dévoilées au même stade…
La manche 3 et la finale
Pour la manche 3, le principe reste le même ; si ce n’est que la grille est à présent commune aux deux équipes… et qu’il n’y a plus d’image cachée derrière, ni de cadeaux à remporter.
A la place, lorsqu’une case est choisie, on dévoile soit une torpille, soit… rien du tout. Mouais, un peu frustrant.
Mais finalement, le but de cette manche est surtout de départager les équipes, afin que celle qui a le plus de torpilles (en incluant celles potentiellement gagnées dans les manches précédentes) aille en finale.
Bon, je vous parle de torpilles depuis tout à l’heure, mais vous devez vous demander à quoi ça peut bien servir. On y arrive.
On retrouve l’équipe gagnante, aux commandes d’une machine qui va leur permettre de viser notre bonne vieille grille de 4×3 cases. Ca fait un peu gadget, puisque le reste du jeu s’en passait très bien (il suffisait juste de citer les coordonnées de la case visée)… mais on va dire que c’est pour la finale, et qu’il fallait un peu de mise en scène.
Derrière deux de ces cases, se cachent deux demi-voitures ; qui, si elles sont trouvées toutes les deux, forment une voiture complète, que l’équipe peut alors gagner.
Mais pour viser une case, il faut une torpille. L’équipe devra donc choisir soigneusement ses cases, avec le nombre de torpilles qu’elle a à sa disposition.
On va (enfin !) retrouver un peu le principe de la Bataille Navale ici ; car, précision importante, les deux demi-voitures sont forcément voisines. Ouf. Je vous avoue que je n’avais pas trop fait attention à ce détail, et que j’allais dire que je n’aimais pas le côté complètement hasardeux de cette finale… mais l’animateur a bien précisé que les deux demi-voitures étaient contiguës.
Bon, après, pas de quoi sauter au plafond non plus, étant donné qu’on reste sur une grille relativement petite, avec un « navire » à couler de seulement deux cases. Mais tout de même.
Bien entendu, plus l’équipe a de torpilles, plus elle a de chances de pouvoir retrouver les demi-voitures. Même si le petit problème, c’est que ces torpilles ont été obtenues un peu au hasard avant ça… en effet, dans les manches 1 et 2, rien ne permet de savoir si une case cachait un cadeau ou une torpille ; et c’est pareil en manche 3, si ce n’est qu’on remplace « un cadeau » par « du vide ».
C’est d’ailleurs un petit défaut que Touchez gagné a, semble-t-il, tenté de corriger, même si je ne pourrai pas en dire beaucoup à ce sujet…
Un mot rapide sur Touchez gagné…
Bon, ça va être assez difficile pour moi de parler plus en détail de la tentative de retour du concept sur TF1 un an plus tard, étant donné que seul un extrait (difficilement exploitable) de cette version-là était disponible.
Mais on arrive quand même à ressentir quelques petites différences entre Case K.O. et Touchez gagné en termes d’état d’esprit.
Et la principale différence qui se fait ressentir, c’est le fait que Touchez gagné se veut moins « familial » que Case K.O..
Au niveau des équipes de candidats, exit les familles, pour être remplacées par de simples binômes ; et on perd également un peu de mise en scène en finale, avec le dispositif permettant de cibler les cases qui disparaît. Pas une grosse perte non plus cependant, puisque je disais qu’il faisait un peu gadget.
Et, surtout, à la place des cadeaux, on gagne directement de l’argent. Chose qui n’était pas possible dans la version familiale, étant donné qu’il me semble que les mineurs ne peuvent pas gagner d’argent directement dans les jeux TV (d’où le fait qu’on leur fait remporter des cadeaux… ou qu’on les fait jouer pour des associations – si, si, ça arrive).
De ce que j’ai pu voir, le fait de jouer avec de l’argent permettait de modifier les règles de la finale ; en laissant les candidats acheter des torpilles s’ils le souhaitaient, pour maximiser leurs chances de gagner.
Idée très intéressante, car elle vient non seulement compenser le fait que les candidats de Case K.O. étaient un peu au pied du mur lors de la finale ; mais également car elle rajoute davantage de stratégie, en laissant le choix au binôme de risquer de perdre de l’argent pour en contrepartie augmenter leurs chances de remporter la finale.
En revanche… Touché gagné semble également avoir régressé au sujet de sa finale, puisqu’il n’y a plus qu’une seule case à retrouver au lieu de deux, transformant finalement celle-ci en du pifomètre complet. Pas glop.
Pour le reste… ben, comme je le disais, ça va être difficile pour moi d’en parler, faute de matériel exploitable. Désolé…
Par conséquent, on va conclure sur Case K.O.…
Total : 12/20
Bon, vous l’aurez compris : l’intérêt de Case K.O./Touchez gagné n’est pas vraiment de proposer une adaptation de la Bataille Navale, ou du moins de son côté stratégique ; ce qui est un peu dommage d’ailleurs, je pense sincèrement qu’on aurait pu en faire quelque chose de plus proche et de tout aussi intéressant, voire plus.
Car en retirant le volet stratégique du choix des cases, on se retrouve avec du hasard qui prend une place un peu trop prépondérante dans CKO à mon goût. Un peu comme si, dans Motus, ce n’étaient finalement pas les mots à deviner qui déterminaient majoritairement les scores des candidats, mais plutôt leurs résultats au tirage de boules : ça aurait été gênant dans la mesure où le hasard n’aurait pas été juste un bonus, mais carrément la condition de victoire principale.
Mais en dehors de ça… ce jeu passe. Mécanique de quiz convenue mais plutôt variée, idée d’exploiter les grilles très perfectible mais convenable dans l’absolu, côté divertissant correct… on a certes vu mieux dans le même genre sur TF1 ; mais on a surtout déjà vu pire.
Et la prochaine fois, on verra un peu mieux, d’ailleurs. Enfin, de mon point de vue…
(source des captures d’écran de CKO : La télé archives en arrière)