Premier de cordée. Je ne m’attendais pas à en parler aussi rapidement, car ce n’est pas forcément un jeu d’aventure très inspirant… mais pourquoi pas. Il va me permettre à la fois de poursuivre sur les jeux d’aventure, et d’ouvrir une nouvelle thématique, basée sur la confrontation de familles.
Une fois n’est pas coutume, on va parler d’un concept qui n’a pas fonctionné ; et quand je dis qu’il n’a pas fonctionné, c’est un euphémisme. Diffusé sur France 3 le 19 novembre 2018, il n’a effectivement attiré que 477 000 téléspectateurs et 2,1 % du public, dépassé par de nombreuses chaînes TNT. Ce qui n’est en soi pas très étonnant. Bon, on va s’abstenir de faire un commentaire sur la connotation du titre ; car même s’il a peut-être dû jouer dans son échec (peut-être que certains ont cru qu’il s’agissait d’un documentaire sur Macron, alors que c’est censé faire allusion à l’œuvre de Roger Frison-Roche…), je pense que le programme lui-même n’avait de toute façon pas de quoi attirer les foules.
Attention, je ne dis pas ça négativement. C’est plutôt comme les documentaires ou les magazines qu’on trouve sur Arte : c’est intéressant, mais comme ce n’est pas du divertissement léger sans prise de tête, et généralement pas ce que recherche la majeure partie du public qui regarde la TV, vous n’allez pas faire 15% d’audience avec ça. Et ça résume plutôt bien l’opinion que j’ai eu de Premier de cordée après mon visionnage.
Cela dit, au sujet de cet échec, je me dois quand même de citer la présentatrice, Fanny Agostini, suite à la diffusion :
Après un score d’audience que l’on pourrait qualifier de minable pour Premier de cordée, on mériterait sûrement de faire profil bas… Et bien je suis tentée du contraire, explique-t-elle. Oui ce nouveau jeu est perfectible, oui il a des points faibles mais il ne peut pas accepter une sanction lapidaire. Je suis persuadée que nous sommes dans l’air du temps et avons même peut-être une longueur d’avance et cela pour plusieurs raisons évidentes. La connaissance et le respect de l’environnement ont eu une belle place dans ce programme. Pour faire ce jeu en Haute-Montagne nous n’avons pas utilisé d’hélicoptères dans un contexte de réchauffement planétaire et d’augmentation des prix des carburants.
Je n’ai pas cité l’intégralité de son message, car je reviendrai sur la suite plus loin ; toutefois, je n’ai pas particulièrement apprécié la balle perdue envers La carte aux trésors… qui me force d’ailleurs un peu à comparer Premier de cordée à ce programme-là. Après tout, ça suit le même genre de formule (i.e. un duel entre candidats – ici, deux équipes – dans un jeu de type rallye-découverte valorisant le patrimoine local et avec une touche sportive), donc je l’aurais sans doute fait instinctivement, même sans ce tacle.
En revanche, désolé pour Fanny Agostini ; mais à ambitions égales en matière de divertissement/valorisation du patrimoine local, j’ai tout de même trouvé La carte aux trésors plus efficace, même en retirant les hélicoptères de l’équation (et au passage, depuis quelques années, le jeu essaie d’en réduire la représentation et de réduire ses émissions carbone, sans que ça ne joue contre lui).
Bon, cependant, c’est la seule partie de son message qui m’a quelque peu agacé. Pour le reste, je comprends son point de vue, et je la rejoins plus ou moins. Et on va voir pourquoi tout de suite…
Le concept
Deux familles composées respectivement de trois membres de deux générations différentes (et accompagnées d’un guide) s’affrontent dans une course, dont l’arrivée est le sommet de l’Aiguille du Tour, culminant à 3 542 mètres d’altitude.

Cette course se déroule sur trois jours, durant lesquels les familles devront parcourir une certaine distance, et également repérer leur chemin. Au départ, ce parcours se fera plutôt en mode randonnée ; avant de passer en mode alpinisme (sachant que les familles n’en ont jamais fait). Ce qui nécessitera à chaque fois de désigner le membre de la famille qui sera le premier de cordée de l’étape (titre !) ; même si, d’un point de vue extérieur, j’ai trouvé ça un peu anecdotique, dans la mesure où, techniquement, ce rôle-là est plutôt assumé par le guide. On met toutefois un peu l’emphase sur le ressenti des candidats quant au rôle qu’ils occupent à chaque étape.
Notons toutefois que les deux familles ne partent pas simultanément (et n’interagissent d’ailleurs quasiment pas entre elles), et ont chacune leur propre chronomètre. Les chronos des deux familles seront comparés à chaque fin d’étape ; et la famille qui a mis le moins de temps démarre l’étape suivante le lendemain.

Étant donné que ce ne serait pas très passionnant de suivre uniquement des candidats en train de faire de la randonnée/alpinisme, les deux premières étapes sont ponctuées de quelques défis, façon étapes de Pékin Express.
Néanmoins, ces défis sont optionnels pour la plupart, et leur but est de retirer du temps au chronomètre en cas de réussite.

Ces défis consistent à prendre en photo des éléments donnés, comme une trace d’animal, une espèce végétale, une église… ce qui rajoute un petit côté « jeu de piste » contrastant un peu avec le côté physique de l’ascension.
Ce n’est pas inintéressant, dans la mesure où ceux-ci donnent d’une part l’occasion d’en savoir plus sur le patrimoine local ; et d’autre part, car il peut y avoir un petit côté stratégique, entre perdre un peu de temps à les trouver pour en gagner sur le chronomètre, ou les ignorer volontairement si on juge que ça n’en vaut pas la peine.
Cela dit, comme le temps retiré au chronomètre dépend de l’étape (1 minute par défi réussi pour l’étape 1, 2 minutes pour l’étape 2), le gain ne se fait pas particulièrement ressentir au départ. Cependant, si les équipes sont bien organisées, il n’y a pas besoin de faire de détour pour prendre les photos ; aussi, on peut voir ça plutôt comme un bonus d’efficacité pour avoir suivi le bon chemin et avoir eu l’œil.

Un autre type de défi, proposé vers les 2/3 de l’étape, consiste en un questionnaire, en rapport avec l’environnement montagnard.
Durant ce défi, le chrono est stoppé ; et les familles répondent à trois QCM à trois propositions de réponse. Chaque question compte comme un défi, et fait donc perdre 1 ou 2 minutes au chrono par bonne réponse selon l’étape.
Bonne idée là encore, pour à la fois mettre en valeur l’aspect local et proposer une pause neurones pour ne pas proposer une étape entièrement physique.

En outre, les étapes peuvent comporter certains obstacles plus techniques ; mais leur franchissement n’est pas inclus dans le chronomètre, en partie pour des raisons de sécurité.
Notons au passage qu’à ce niveau-là, le fait de respecter les consignes de sécurité permet d’éviter des pénalités de temps. Bon, c’est un peu anecdotique, car aucune équipe n’a enfreint ces consignes ; mais je devais le mentionner pour rester complet.
Enfin (attention, spoiler), parlons des cas d’abandon.
Si un candidat abandonne l’aventure, deux cas de figure peuvent se présenter :
- Si l’abandon est volontaire, l’équipe est alors éliminée ;
- Si l’abandon est justifié par décision du guide (notamment pour raison médicale), l’équipe peut poursuivre l’aventure sans le membre en question.
Et j’en parle, car le second cas de figure est arrivé à une équipe, durant la dernière étape.
Bon, les abandons médicaux dans les jeux d’aventure, c’est toujours délicat à gérer. Ici, en l’occurrence, ça fausse un peu la compétition, dans la mesure où l’équipe amputée d’un membre peut alors progresser un peu plus facilement… mais après, je reconnais que c’était difficile de trouver une façon idéale de gérer ça.

Au niveau des règles, je n’ai rien de plus à dire. Il n’y a aucune complexité ni originalité particulière ; mais ça tient bien la route (même si le cas de l’abandon médical est un peu plus délicat à gérer).
De toute façon, comme on est plutôt dans une formule façon Carte aux trésors, l’intérêt du programme réside surtout dans la façon de découvrir l’environnement du jeu ; et dans la façon dont il est mis en valeur.
Et à ce niveau-là…
Une aventure humaine et écologique… un peu trop mise en avant ?
Oui, vu les enjeux, on pouvait se douter qu’on allait mettre l’accent sur le côté « aventure humaine ». Même si ce n’est pas un format feuilletonnant, l’aventure se passe sur trois jours pour les équipes ; et l’ascension d’une aiguille, ce n’est clairement pas rien, vu tous les efforts demandés.
Aussi, on sent une certaine progression dans le suivi de l’aventure : la 1re étape étant plus simple et encore en partie dans la vallée de Chamonix, on parle davantage d’éléments du patrimoine local, mais pas trop des candidats ; et par la suite, lorsque l’ascension devient plus difficile, on se concentre davantage sur les difficultés des équipes.


Et la question est… est-ce que suivre un programme mettant autant en avant cet aspect-là est votre tasse de thé ? Car, finalement, c’est surtout ça qui risque de conditionner votre appréciation du programme.
Et qui, pour le coup, le différencie vraiment d’un format comme La carte aux trésors, qui n’est clairement pas aussi exigeant en termes de forme physique et mentale. Oui, ma comparaison avait tout de même ses limites ; et là, on serait vaguement plus proche de Pékin Express (et encore, ce programme-là ne met pas non plus autant en avant cet aspect-là).

Pour ma part, je reconnais que j’arrive à être un peu pris par ce genre d’enjeu ; et qu’ayant eu l’occasion de découvrir l’environnement montagnard, ça m’a aidé à y accrocher davantage.
En fait, ça me rappelle un peu un film que j’avais eu l’occasion de voir à l’UCPA de Chamonix, en tant qu’animation de la soirée (pourquoi je suis en train de raconter ma vie, là ? Surtout que c’était un séjour où je n’ai même pas fait d’alpinisme, juste quelques randonnées…).
Bref. Le film en question s’appelait Zabardast, était sorti en 2018 (la même année que Premier de cordée, d’ailleurs) et réalisé par Jérôme Tanon ; et a au passage obtenu plusieurs récompenses. Il parle d’une expédition au Pakistan, ayant duré 3 semaines, pendant laquelle un groupe s’est lancé le défi de s’attaquer à la tour nord de Biacherahi, une montagne particulièrement raide culminant à 5 850 m (et, accessoirement, de la dévaler en ski ou en snowboard une fois l’ascension effectuée).
Et j’ai bien aimé, même si je ne suis pas très coutumier du genre. C’était intéressant sur plusieurs aspects, avec en particulier la poursuite de l’objectif lancé malgré les appréhensions et les ambitions fortes ;
Alors, bon, j’ai parlé de Zabardast parce que ça parlait d’une expédition en montagne (et parce que j’en avais envie) ; mais je suis bien conscient que l’expédition proposée par Premier de cordée ne devait pas non plus être aussi fastidieuse à préparer, ni aussi périlleuse, et en-dessous de 5 800 mètres d’altitude (et que ça m’étonnerait que Premier de cordée eût pu recevoir 16 prix à des festivals variés).
Et, surtout, il n’y a pas de compétition dans Zabardast, alors que Premier de cordée reste un jeu avec un enjeu monétaire (de 5 000 € pour être plus précis).
Toutefois, j’ai envie de dire que, tel que cette émission l’a mis en avant, cet aspect compétitif est un peu mis en arrière-plan. Déjà, parce que les équipes ne sont jamais en confrontation directe, et que les défis ont un enjeu moins conséquent que les épreuves de Pékin Express ; mais aussi car le montage met beaucoup plus en avant le côté humain, le dépassement de soi, et les émotions des candidats. D’ailleurs, même à la fin, l’annonce des vainqueurs paraît presque secondaire…

Et… comme je le disais plus haut, c’est vraiment une question d’appréciation.
En fait, j’ai envie de dire qu’en dépit de l’aspect ludique, si c’est surtout le côté « jeu » qui vous intéresse, vous risquez de vous ennuyer, même si vous aimez les formats type Carte aux trésors pour cette raison-là.
D’autant plus que je n’en ai pas encore parlé ; mais le programme dure 2 heures. Et il met un peu de temps à décoller, puisqu’il faut au préalable présenter les candidats et le principe (et passer un pré-générique caractéristique de ce genre de jeu un peu trop long pour ce qu’il est). Bref, il faut faire preuve d’un peu de patience.
Mais sinon, en ce qui concerne les autres aspects, ça reste réussi.
D’ailleurs, même si je n’ai pas trop apprécié le tacle de Fanny Agostini évoqué en introduction, je reconnais qu’elle était très investie dans son émission, en allant jusqu’à faire à peu près le même parcours que les candidats, en partageant ce côté humain avec eux ; et que l’expérience a dû la marquer elle aussi. Et qu’elle devait aussi tenir sincèrement au côté « compréhension et préservation de la nature » mis en avant.

Aussi, pour finir sur une note positive à son sujet, citons un autre passage de son interview :
Nous avons donné une dotation à une association locale qui protège la Nature dans le massif des Aiguilles Rouges. Les paysages montagnards ont ébloui ceux qui ont eu la gentillesse de regarder. Les valeurs de partage et de solidarité étaient au cœur de ce jeu. Mes convictions n’ont pas changé et ne changeront pas. Le pouvoir de l’image peut nous inviter à aimer et à protéger la nature. Je crois aussi que le divertissement est un bon levier. […]

Total : 12,5/20
Par rapport à ses ambitions, Premier de cordée fait plutôt bien son travail. En effet, on sent vraiment la volonté de faire découvrir un patrimoine local et naturel, au travers d’une aventure humaine bienveillante, avec des intervenants investis et un montage valorisant.
Toutefois, en matière de divertissement, c’est un peu poussif ; et il faut vraiment réussir à rentrer dans cet aspect « aventure humaine » pour apprécier le programme. Si je comprends la volonté de ne pas mettre l’accent sur le côté compétitif et de valoriser l’effort des candidats, ça rend également le jeu un peu moins dynamique, surtout quand on étire ça sur 2h.
Par conséquent, je dirais que c’est un programme qui mérite au moins un visionnage, par rapport à son approche qui mérite d’être découverte ; mais que ça n’avait finalement pas forcément vocation à faire l’objet d’une programmation régulière, même si l’audience avait suivi. Pour moi, cet unique numéro semble déjà avoir raconté à peu près tout ce qu’il avait à raconter en un seul épisode ; et même si on aurait pu mettre en avant d’autres massifs montagneux que les Alpes, le côté « aventure humaine » aurait fait doublon. C’est un peu comme si on avait fait une suite à Zabardast, dont j’aurais difficilement vu l’intérêt.
Mais pour ceux qui voudraient plutôt une Carte aux trésors-like moins centrée sur l’émotion et plus centrée sur le jeu (enfin… en théorie), on a un autre candidat pour la prochaine fois…