Une fois n’est pas coutume, on va s’attaquer à un (très) gros morceau : les adaptations de jeux de société en jeux télévisé. Avec, pour commencer, un classique parmi les classiques : le Trivial Pursuit, qui va lui aussi constituer un assez gros morceau au sein du genre. Ca fait beaucoup de gros morceaux d’un seul coup, tout ça…
Et à propos de ce jeu, si vous avez lu mon article sur la culture générale dans les jeux TV, vous vous souvenez peut-être que j’en avais parlé… mais pas spécialement en bien. Non pas que ce soit spécialement un mauvais jeu, mais plutôt que ce n’est pas trop ma tasse de thé, et que son concept alternant questions de culture générale pure et lancers de dés interminables m’ennuie assez rapidement.
Cela étant, quand je dis ça, je le dis en tant que joueur. En tant qu’observateur, en revanche, mon ressenti peut différer. Et est-ce que je trouve le jeu plus passionnant à observer plutôt qu’à jouer ? Pour répondre à cette question, ça tombe bien : le Trivial Pursuit a connu une adaptation en tant que jeu TV.
En fait, pour être plus précis, il y a eu deux versions différentes, réparties sur cinq sessions de diffusion : 1988, 1989, 1990, puis 2002 et 2003, le tout avec une programmation saisonnière (l’été en access, sauf pour 2002 où c’était une deuxième partie de soirée hebdomadaire). Et encore, là je parle uniquement de la France pour le moment, on aura sans doute l’occasion de parler d’adaptations étrangères plus tard.
Donc comme vous avez pu le constater : on a eu quand même une pause d’une dizaine d’années entre les deux périodes de tournage ; en outre, entre temps, les incarnations ont changé, de même que la bande son, les producteurs… et même la mécanique de jeu. Bon, personnellement, je les considère carrément comme deux jeux différents, la seule chose qu’ils ont en commun étant leur diffuseur (France 2… et encore, je pourrais chipoter en disant que c’était Antenne 2 auparavant) et le matériau de base.
Si bien qu’au final, j’ai un peu hésité entre les traiter ensemble ou séparément. En fait, ce qui m’a un peu embêté, c’est le fait que la première version était suffisamment consistante pour avoir une critique à part entière ; mais la seconde, pas spécialement. Et, comme je le disais, les mécaniques de ces deux versions étaient vraiment trop distinctes pour que je puisse les mettre dans le même panier.
Donc… finalement, chacune de ces versions aura droit à un article, quitte à ce que l’un soit plus succinct que l’autre.
Commençons donc par la première version, celle diffusée de 1988 à 1990, et sans doute la plus intéressante des deux à mes yeux… sans pour autant être exceptionnelle.
Une adaptation assez libre du format de base
Dans cette version du jeu, oubliez le plateau et les lancers de dé : ceux-ci sont absents.
Bon, on a bien un plateau (de jeu) présent sur le plateau (TV)… mais il n’aura pas tout à fait autant d’importance que dans une partie classique, et sera exploité assez différemment. Ce qui va donner une mécanique plus synthétique, et surtout plus fluide, dont je reparlerai dans le paragraphe suivant.
En fait, les producteurs semblaient conscients qu’adapter une partie de Trivial Pursuit telle quelle, ça n’aurait pas fait un bon jeu TV. Entre la durée moyenne d’une partie selon les éditeurs du jeu (une heure, quand même…), certaines phases qui n’auraient pas été très palpitantes à suivre (comme le déplacement des pions sur le plateau), et finalement certains défauts inhérents au matériau de base (quand je disais que le jeu de société ne me branchait pas plus que ça, j’avais des raisons de le penser oui…) ; en faire un jeu TV qui s’inspire plus librement du jeu de base, sans pour autant chercher à l’adapter le plus fidèlement possible, c’était le meilleur parti à prendre.
Ce qui fait qu’on va avoir un jeu au final plus fluide et plus rythmé, mais aussi plus court (seulement une vingtaine de minutes), tout en gardant quand même certains fondamentaux comme la culture générale, les thèmes, les camemberts (au passage, c’est tout à fait personnel, mais je vais dire « les parts » pour désigner ça, c’est plus rapide à prononcer et à écrire…), ainsi que la part de hasard.
Comme vous le voyez avec ce plateau de jeu, on tient quand même vraiment à ce que vous sachiez quel jeu vous êtes en train de regarder. Quitte à en faire un peu trop…
Néanmoins, si avec ces modifications, vous doutiez toujours du matériau de base dont le jeu s’est inspiré, rassurez-vous : les rappels à celui-ci sont présents partout !
Le décor, avec son plateau de jeu en plein milieu, et des triangles décoratifs dispersés ça et là ; le code couleur employé pour désigner les différents types de question ; le chronomètre des questions, qui reprend le design des pions du jeu (ce qui porte un peu à confusion d’ailleurs, parce qu’à part le rappel visuel évident, ce n’est pas vraiment pratique…) ; et même les fiches de l’animateur lorsqu’il pose ses questions, qui, semblerait-il, sont réellement issues du jeu de société, quand on voit l’animateur retourner la fiche pour connaître la réponse !
… ce qui fait quand même un peu kitsch voire low-cost sur les bords. Je veux bien qu’on fasse quelques rappels ça et là pour évoquer le jeu de base ; mais ça, c’est peut-être un peu trop ridicule. Au mieux, la direction artistique a voulu rappeler au maximum le jeu de société dans ses moindres détails visuels, et est allée jusqu’à designer les fiches comme dans le vrai jeu, ce qui donne surtout l’impression de jouer à un jeu de société surdimensionné ; au pire, ils ont réellement pris des fiches dans une boîte du jeu, alors que rédacteur de questions, c’est censé être plus ou moins un métier…
En plus de ça, le lot de consolation pour le joueur qui n’a pas gagné la première manche, c’est… un jeu de Trivial Pursuit. Sans blague. Les candidats ont vraiment intérêt à adorer y jouer…
La première partie
Dans cette première partie de l’émission, deux équipes vont s’affronter. En fait, ces équipes sont composées d’un candidat anonyme, et… d’un people. Parce que… pourquoi pas.
Mouais, franchement, je ne vois pas trop l’intérêt d’avoir fait ça, alors qu’on aurait tout à fait pu avoir deux candidats en solo… mais ça passe. Les people ne sont pas intrusifs, n’en font pas des caisses, et semblent suffisamment sérieux pour avoir leur place dans ce contexte, même si certains sont peut-être un peu trop excentriques. Mince, pour une fois, je ne vais pas râler au sujet des people ? … attendez ma critique de la version 2000’s pour ça.
L’un des binômes commence donc.
Avant chaque question, l’animateur lance un curseur sur le plateau de jeu, et le candidat doit l’arrêter en appuyant sur un buzzer. Ce qui va faire s’arrêter le curseur sur une case, qui va s’illuminer d’une certaine couleur. C’est un peu ce qui remplace les lancers de dé, d’une certaine manière.
Oubliez toute la partie centrale du plateau, elle ne sert à rien. Seul le contour est utilisé par l’émission, pour déterminer le type de question qui va être posée aux candidats.
(Au passage, bizarrement, on ne tombe jamais sur la case « Rejouer »… a-t-elle été seulement prise en compte dans ce jeu ?)
Et c’est là que ça va devenir assez confusionnant, quand on connaît le jeu de base.
Parce que dans le jeu de société, une couleur correspond à un thème précis. D’ailleurs, ici, on a toujours plus ou moins les six thèmes de base de jeu, avec des catégories telles que « Histoire et politique », « Science et nature », « Sports et loisirs » etc.
En revanche, ici… non. J’ai trouvé ça assez bizarre qu’à un moment, le thème « Science et nature » soit associé à la couleur orange (d’ailleurs, dans le jeu de base, c’est plutôt censé être le vert…) ; puis que, quelques questions plus tard, on ait une question sur ce même thème… en marron. Idem pour le thème « Histoire », qui était en orange, puis en vert… est-ce que cette adaptation a fait n’importe quoi avec le concept ? Oui et non. Il y a quand même une certaine logique, mais qui ne va malheureusement pas jusqu’au bout.
En fait, le plateau qu’on a dans l’émission est complètement monochrome (sauf la partie centrale qui ne sert à rien…) ; mais si on le compare à un plateau de jeu classique (ce qui est tout à fait possible, car les symboles présents sur les cases restent les mêmes), on voit que les couleurs correspondent aussi. C’est juste que pour garder un effet de surprise lors de l’arrêt du curseur (et peut-être éviter que les candidats ne fassent exprès de tomber sur une case en particulier), la production a préféré masquer les couleurs originellement présentes. Donc, il y a quand même une logique dans la répartition des couleurs sur le plateau.
En revanche, allez savoir pourquoi ils ont totalement laissé tomber l’idée de faire correspondre une couleur à un thème, et pourquoi ils ont (semble-t-il) préféré balancer les thèmes des questions au hasard… franchement, je ne vois pas du tout l’intérêt d’avoir fait ça. Pour éviter que l’animateur n’ait à piocher une nouvelle fiche si un même thème venait à tomber deux fois de suite ? Je sais que ça peut être un peu râlant dans le jeu de base de piocher une nouvelle carte alors qu’on n’a lu qu’une seule question sur la précédente, mais quand même ! La façon dont l’émission procède pour déterminer les thèmes est juste illisible !
Notez le chronomètre stylisé en bas à gauche. Oui oui, c’est bien un chronomètre, pas un pion indiquant où le candidat en est…
Bon, passons.
Une fois la couleur donnée et le thème annoncé (de façon random, du coup…), le binôme dispose de dix secondes pour répondre à une question sur le thème donné. Si la réponse est incorrecte (ou si aucune réponse n’est donnée), la main passe à l’adversaire ; en revanche, si la réponse est correcte, le binôme remporte une part de la couleur en jeu (s’il ne la possède pas déjà).
Ce qui devrait normalement vous faire tiquer, puisque dans le jeu de base, les parts ne s’obtiennent qu’en atterrissant sur les cases spécifiques, indiquées par des triangles ; alors qu’ici, n’importe quelle case suffit à le faire.
Pour le coup, ce n’est pas une mauvaise idée. Je disais plus haut qu’une partie classique pouvait potentiellement durer longtemps ; et le fait de devoir lancer le dé et déplacer son pion jusqu’à espérer tomber sur la case idoine contribue pas mal à la longueur du jeu. Ne le niez pas, avouez que ça vous a toujours un peu agacé de tourner sans arrêt autour du pot, jusqu’à tomber dessus, et croiser les doigts pour avoir la bonne réponse, afin d’éviter de perdre cinq nouvelles minutes à essayer de tomber dessus une nouvelle fois…
Par conséquent, les cases « triangle » vont avoir un autre enjeu. A l’instar des cases classiques, elles permettent de remporter une part de la couleur associée en cas de bonne réponse ; mais également un joker, qui servira pour la finale, si le candidat parvient à y accéder. J’y reviendrai.
Bon, en soi, c’est une mécanique relativement correcte, certes pas révolutionnaire, et un moyen relativement intéressant de réinventer le jeu de base… même si j’ai toujours un peu de mal avec la façon dont la main passe.
Déjà, le binôme qui démarre n’est pas désigné d’une façon particulière, comme une question de rapidité par exemple, donc il a déjà un avantage sans raison spécifique. Et comme dans cette mécanique de jeu, la main ne passe qu’en cas d’erreur du candidat, imaginez si un candidat décide de faire un sans-faute et que la main ne passe quasiment jamais à l’adversaire… au bout d’un moment, c’est râlant. Ce n’est certes pas le seul jeu à avoir ce problème ; après tout, tous les jeux basés sur une main qui passe en cas d’erreur du candidat sont concernés (dont Motus et La roue de la fortune… si ce n’est que Trivial Pursuit n’a ni boules noires, ni banqueroutes). Mais bon, ça ne m’empêchera pas de le souligner et de le déplorer, même si je reconnais que ces cas de figure extrêmes restent quand même assez peu fréquents (mais sans être extrêmes, ils restent quand même assez gênants quand le niveau est globalement bon), et que ce problème concerne aussi le jeu de société.
En outre, il y a également un côté un peu répétitif qui se fait ressentir à la longue, puisqu’on alterne sélection de cases et questions d’une façon assez monotone (même si rythmée). Néanmoins, ça arrive à passer de justesse, cette partie de jeu ne durant pas plus d’une dizaine de minutes.
Cette première partie de jeu s’arrête lorsqu’un candidat a complété son pion avec les six parts de couleurs différentes ; ou bien si le temps imparti est écoulé, auquel cas c’est le candidat qui en possède le plus qui part en finale.
Ne me demandez pas en revanche comment sont départagées les égalités potentielles, n’ayant pas d’émission où c’est arrivé sous la main…
La finale
Pour la finale, c’est donc le binôme gagnant qui va jouer.
Le principe va être assez simple : une fiche va être piochée dans un tiroir (je vais vraiment finir par croire que vous avez juste pris une boîte de jeu pour vos questions…), et l’animateur va poser les six questions à la suite, avec à chaque fois 10 secondes pour répondre. Si le binôme parvient à répondre correctement à toutes les questions, le candidat gagne un superbe voyage.
Bon, cela dit, les questions vont être posées de façon assez relax, ne cherchez pas de tension particulière dans la manière de les mettre en valeur.
Notez que cette fois-ci, les couleurs correspondent réellement aux thèmes en jeu. C’est bien, mais ça aurait été mieux de rester cohérent tout au long de l’émission…
Pas grand-chose à dire au sujet de cette finale. Ce n’est pas très original ni particulièrement recherché, mais ça reprend d’une certaine façon la règle dont une partie de Trivial Pursuit se termine (enfin… pour ceux qui ont la patience de le faire à ce stade).
Ah, si, attendez, j’allais oublier quelque chose : les jokers.
En fait, quand je disais que le candidat doit avoir fait un sans faute sur ses questions… j’ai un peu menti. En réalité, après cette passe de questions, les animateurs vont annoncer le nombre de bonnes réponses données par le candidat (sans préciser lesquelles cependant).
S’il dispose d’un ou plusieurs jokers, il peut alors faire appel à une personne du public, tirée au sort (de façon générale, autant de personnes que de jokers), pour l’aider à répondre aux questions pour lesquelles ils ne sont pas sûrs de la réponse.
Ils refont alors une passe sur les questions, avec l’animateur qui les repose, pour reformuler les réponses. Si elles sont toutes correctes, c’est gagné pour le candidat.
Total : 11,5/20
Ce Trivial Pursuit années 80 a quelque chose d’intéressant dans la façon d’adapter le concept à sa sauce. Malgré quelques interrogations ça et là, ce jeu arrive à proposer une version du jeu de société plus concise et plus adaptée au support télévisuel, sans spécialement le dénaturer.
Néanmoins, ça reste quand même un jeu un peu répétitif, ce qui est malheureusement dû au format de base, qui a tout de même des défauts inhérents ; et même s’il arrive à en gommer une certaine partie, il n’avait de toute façon pas vraiment vocation à perdurer.
Ce qui en fait un jeu finalement… correct, sans plus, mais avec une tentative d’adaptation qui a tout de même ses quelques mérites (même s’ils ne sont pas non plus exceptionnels), et qui vaut le coup d’œil pour voir comment elle s’en sort dans cet exercice.
En revanche, je ne pourrai clairement pas en dire autant de l’adaptation faite durant les années 2000…