Il y a des jeux qui ont beau dater un peu, voire être presque complètement oubliés ; mais qui nous disent pourtant vaguement quelque chose, car on en a déjà vu un extrait, notamment dans les bêtisiers. Et, par conséquent, parfois, on ne retient le jeu que pour l’extrait de bêtisier sur lequel on a eu l’occasion de tomber.
Le problème, c’est que ça n’en dit pas forcément long sur le concept du jeu ; surtout dans le cas des bêtisiers, où c’est sorti du contexte, et où on se demande parfois quel était le but. Je me rappelle notamment d’une candidate d’Allô quiz, qui partait dans des fous rires réguliers, en donnant des mauvaises réponses ; mais comme c’était totalement sorti du contexte, on n’avait aucune idée des règles ou de la nature des questions posées, qui auraient pu justifier qu’elle donne ce type de réponse en pensant que ça marcherait peut-être sur un malentendu. Et, malheureusement, les archives d’Allô quiz étant désormais totalement introuvables, ça n’aide pas du tout à retrouver ce fameux principe sur lequel reposait le jeu.
Un autre exemple est celui du jeu d’aujourd’hui, Passe à ton voisin. Diffusé sur France 2 pendant l’été 1997, et présenté par Alexandre Pesle, ce jeu n’a pas connu un grand succès ; à tel point qu’il a dû changer de case horaire en cours de route, en passant de 18h40 à 11h05. Ce qui n’était finalement pas plus mal, car le programme était surtout regardé par un jeune public, donc une case de fin de matinée était plus adéquate.
En revanche, il a tout de même gardé une petite postérité à cause d’un extrait de bêtisier un peu salace. Bon, là, contrairement à Allô quiz, on comprenait facilement le principe du jeu. Cependant, ça ne permettait pas non plus d’en comprendre toute la subtilité, ni de savoir si le jeu reposait sur autre chose. De fait, pendant longtemps, j’ai pensé que ce jeu se résumait juste à faire deviner des mots à ses partenaires ; et ça me semblait être un peu trop léger conceptuellement parlant, si d’aventure j’avais dû en parler un jour ici.
Et comme il n’y avait pas d’autres archives télévisuelles trouvables facilement (à l’instar d’Allô quiz), je ne pouvais donc pas m’en assurer… jusqu’à il y a peu, lorsqu’un internaute a uploadé une émission qu’il avait enregistrée. Vraiment, je tiens à remercier les téléphiles qui mettent régulièrement à disposition les archives télévisuelles en leur possession, et qui permettent de redécouvrir ce que les diffuseurs avaient à proposer à différentes époques. Sans eux, c’est clair et net que je n’aurais pas eu autant de matière pour alimenter ce blog, et que j’aurais dû me contenter soit de jeux récents, soit de mes souvenirs (parfois un peu trop enjolivés par rapport à l’opinion que j’ai aujourd’hui, comme pour Crésus et 1 contre 100), soit de contenus purement textuels quasiment impossibles à illustrer (ou au prix d’images reconstituées, ce qui a été le cas pour Carbone 14 et La gym des neurones – et ce dernier jeu mériterait sincèrement d’avoir beaucoup plus d’archives à disposition, parce que j’ai honte d’avoir dû illustrer un de mes jeux préférés avec des images de mauvaise qualité ou des montages).
Bref. Vous l’aurez compris : à présent que j’ai pu voir une émission complète de Passe à ton voisin, c’est parti pour un article !
Le déroulement de l’émission
Deux équipes de 5 candidats s’affrontent dans une succession de manches, afin d’obtenir le plus de points possible, l’équipe gagnante ayant accès à la finale.
Une particularité concerne la composition des équipes ; car il y aura toujours une équipe entièrement masculine et une équipe entièrement féminine. Non pas que ça ait un impact sur la mécanique, mais je me devais de le mentionner.
Il n’y a cependant pas de confrontations directes, chaque équipe jouant chaque manche dans son coin.
Deux types de manches (hors finale) existent :
- Les manches « passe à ton voisin », où il faut faire deviner un mot à ses coéquipiers ;
- Les manches « quiz », où chaque équipier doit répondre à une question.
L’émission va d’abord faire jouer la manche « passe à ton voisin » à chaque équipe ; puis faire jouer une manche « quiz » à l’une des deux équipes ; puis faire à nouveau une paire de « passe à ton voisin » ; puis faire jouer le « quiz » à l’équipe qui ne l’a pas encore fait ; et enfin, une troisième paire de « passe à ton voisin ».
Passe à ton voisin
Pour cette manche, les quatre candidats en queue de file vont mettre un casque, et se tourner dans la direction opposée de l’animateur.
Le candidat en tête de file va choisir un mot parmi les deux proposés par l’animateur ; puis un chronomètre de 40 secondes va se déclencher.
Il fait alors signe à son coéquipier directement à proximité (en lui touchant l’épaule), qui se retourne et enlève son casque ; et lui fait deviner le mot, façon Time’s up/Contre-la-montre de Pyramide (sachant que les mots de même famille et les mimes sont interdits). Lorsque son partenaire a trouvé, celui-ci va alors faire signe à son coéquipier suivant (qui va également se retourner et retirer son casque), et lui faire deviner le mot de la même manière ; et ainsi de suite, jusqu’à ce que toute l’équipe ait deviné le mot, que le temps soit écoulé, ou que la manche ne soit interrompue pour faute (on en parle tout de suite).

Vu comme ça, la première chose que je me suis dit, c’est : « Mais c’est un peu idiot, il suffit juste de répéter ce que le camarade précédent vient de dire pour faire deviner le mot au suivant ! ».
Sauf que non, ce n’est évidemment pas aussi simple, car cette pratique est sanctionnée. Si, pour faire deviner le mot, quelqu’un utilise un mot déjà employé (du moins un mot lexicalement « intéressant », on ne va évidemment pas sanctionner la répétition d’un « et » ou d’un « avec »), la manche prend immédiatement fin (avec le bruit qui va bien), et le score est fixé sur le nombre de candidats qui ont deviné le mot avant que la sanction ne soit tombée.
Par exemple, si le candidat 1 fait deviner le mot « Pont » au candidat 2 en disant : « Celui d’Avignon est célèbre », le candidat 2 ne pourra pas employer le mot « Avignon » pour faire deviner « Pont » au candidat 3. Il pourra dire, par exemple : « Pour entrer dans le château, on abaisse un mmm-levis ».
Et là, je me suis dit : « Mais c’est idiot ! Comment celui qui passe en troisième, quatrième ou cinquième peut savoir qu’on n’a pas déjà fait deviner le mot avec la stratégie à laquelle il a pensé ? Parce que la seule qu’il a pu entendre, c’est celle avec laquelle on lui a fait deviner le mot ; mais celui qui a dû lui faire deviner, il a dû le deviner avec encore une autre stratégie ! ».
Pour revenir à notre exemple précédent : le candidat 3 vient de trouver le mot « Pont » grâce à la définition « On abaisse un mmm-levis ». Il sait donc qu’il ne pourra pas réemployer cette définition pour faire deviner le mot au candidat 4. En revanche, il ne sait pas du tout que le candidat 2 a trouvé le mot grâce à Avignon ; et il peut donc l’utiliser, sans savoir que c’était en réalité interdit !

Au départ, j’ai donc pensé que c’était un défaut de mécanique assez notable, qui rendait ces règles assez hasardeuses. Mais j’ai un peu revu mon opinion depuis.
Notamment grâce à des jeux de société comme Dixit, Just one ou Maudit mot dit. Des jeux dans lesquels il faut faire deviner des mots aux autres joueurs ; mais où il vaut mieux donner des indices plus évasifs, car les règles sont faites de sorte que les indices trop simples sont pénalisables de différentes façons. Dans Dixit, celui qui doit faire deviner ne remporte rien si tous les autres joueurs ont trouvé la bonne image ; dans Maudit mot dit, il ne remporte des points que si un autre joueur a trouvé avec le nombre précis d’indices auquel il avait droit (et pas avant) ; et dans Just one, si plusieurs joueurs ont pensé au même indice, il n’est pas communiqué à celui qui doit deviner le mot. Bref, dans ces jeux-là, on incite à faire deviner en utilisant des indices à la fois pas trop évidents, pour que ce ne soit pas trouvable immédiatement ; mais pas trop subtils non plus, car ça doit rester trouvable.
Et, dans un sens, on peut considérer que l’état d’esprit de Passe à ton voisin se rapproche des exemples que je viens de citer ; et qu’il vaudrait donc mieux partir sur des pistes de réflexion moins évidentes pour les premiers candidats, pour que ceux qui passent en dernier n’y pensent pas en premier (et donc évitent de les dire). Ce qui rajoute donc un aspect stratégique sur le papier.
Mais bon, ça m’étonnerait que les candidats fassent ça en pratique. D’une part, car il faut y penser ; et d’autre part, car avec le chronométrage, ça ne laisse pas franchement le temps pour élaborer ce genre de stratégie. (Ce qui me fait me dire que j’adorerais voir une adaptation en jeu TV de Just one…)

Et sinon, j’ai quand même un autre problème avec cette mécanique : ce qu’on considère comme « lexicalement intéressant » parmi ce qui a déjà été dit. Ça reste un critère subjectif.
Par exemple, toujours avec notre mot « Pont », lorsqu’il a été proposé dans l’émission, une candidate l’avait fait deviner en disant : « Il passe au-dessus d’une rivière ». Deux candidates plus tard, on a redit le « au-dessus », associé à d’autres mots ; et ça a été pénalisé… certes, dans un sens, la façon de définir « Pont » était lexicalement proche de ce qui avait déjà été fait ; mais bon, comme je le disais, ça montre aussi un peu la subjectivité de ces règles.
Sinon, il me reste encore à souligner deux ou trois points au sujet de cette manche :
- Au début de chaque manche, les candidats permutent, afin que le candidat en tête de file ne soit pas systématiquement le même ;
- Lorsqu’on passe à l’équipe adverse, celle-ci n’a pas le choix et doit faire deviner le mot n’ayant pas été choisi par l’autre équipe ;
- Lors du troisième « duel » (celui précédant la finale), c’est l’équipe la plus en retard qui choisit le mot parmi les deux propositions, laissant le second mot à l’équipe adverse.
Le quiz
Les candidats de chaque équipe disposent à nouveau de 40 secondes ; cette fois-ci, pour trouver des expressions, dictons, proverbes, titres d’oeuvres, etc. avec le mot indiqué au préalable, selon la définition donnée par l’animateur.
Par exemple, si le mot est « Pays », on peut demander :
- « Le malaise ressenti par quelqu’un qui quitte sa région d’origine » : la réponse est alors « Avoir le mal du pays » ;
- « Un proverbe biblique disant qu’il est difficile de faire accepter ses idées dans sa communauté » : « Nul n’est prophète en son pays » ;
- « Un roman de Lewis Carroll adapté au cinéma par Walt Disney » : « Alice au pays des merveilles » ;
- « Une chanson d’Yves Simon en hommage à Juliet Berto » : « Au pays des merveilles de Juliet » ;
- etc.
C’est au candidat en tête de file de trouver son expression en premier. Une fois qu’il a trouvé la bonne réponse, dit une mauvaise réponse (impossible d’en proposer plusieurs), ou qu’il passe, il passe alors le relais à son voisin, qui aura une autre définition à trouver ; et ainsi de suite, jusqu’à ce que tout le monde ait répondu, ou que le temps ne soit écoulé.

Pas grand-chose à dire sur ce principe. C’est efficace, et ça permet de ponctuer le déroulement du jeu d’une autre façon que de faire deviner des mots ; et, thématiquement, on reste un peu dans la même veine, avec l’idée de jouer sur un même mot pour tout le monde. Même si on joue un peu moins sur la cohésion d’équipe, vu que les réponses de chacun sont indépendantes.
La finale
Cette finale se déroule en trois parties (dont le déroulement est le même, mais en montant un peu la difficulté à chaque fois).
Quatre membres de l’équipe s’isolent, pendant que le cinquième prend connaissance d’un mot donné par l’animateur. Il va alors dire à son tour 3 mots (puis 4 mots et 5 mots pour les parties suivantes), que lui évoquent celui donné par l’animateur. Par exemple, si le mot de l’animateur est « Forêt », le candidat peut dire « Arbre », « Conifère », « Animaux », « Nature », « Noire », etc.
Ses équipiers viennent ensuite le rejoindre ; mais sans prendre connaissance des mots qu’il a donnés. L’animateur leur communique alors le mot qu’il a donné ; puis c’est à leur tour de dire tout ce qui leur passe par la tête, en 20 secondes. En revanche, cette fois-ci, c’est 5 secondes par candidat.
Si l’un des mots cités correspond à l’un de ceux donnés auparavant, l’équipe gagne alors 100 F par mot trouvé.
Notons par ailleurs que ce jeu dispose d’un système de cagnotte, décroché en cas de sans-faute complet (mouais… pour la cagnotte je veux dire) ; ainsi que d’un système de champion limité à 5 victoires. D’ailleurs, si une équipe arrive à enchaîner 5 victoires, elle peut espérer un gain maximal de 200 000 F (pas mal du tout pour un jeu de fin de matinée de France 2 !).
C’est un principe qui m’évoque la demi-finale d’Au pied du mur (pas celui de TF1, mais celui de France 3… que je ne cite d’ailleurs pas très souvent, pour une fois que j’en ai l’occasion) ; mais ici, ça prend mieux à mon sens. Pour une raison toute simple : dans Au pied du mur, le choix des mots à citer était un peu arbitraire, vu qu’il venait de la production ; alors qu’ici, ça joue vraiment sur la complémentarité d’équipe et sur la longueur d’onde. Un peu comme Les bons génies (quitte à citer un autre jeu dont je ne parle pas très souvent…).
Et, finalement, ça appuie une certaine diversité globale dans la façon de jouer en équipe et de « passer à son voisin », puisque la finale joue sur un principe encore différent du reste.

Total : 13/20
Passe à ton voisin est un jeu dont le principe est moins limité que je ne le pensais au premier abord. En se basant sur trois mécaniques différentes, mais assez complémentaires thématiquement, on n’a pas le sentiment d’avoir fait le tour du concept en un seul épisode ; et c’est un format qui passe tout à fait pour une programmation saisonnière, ou à la rigueur une diffusion hebdomadaire.
Et j’ai déjà eu l’occasion de le dire, mais je trouve vraiment très triste que les années 2020 aient signé la mise à mort de cette façon de programmer des jeux, car ça réduit les occasions de voir des jeux davantage adaptés à ce type de programmation. Car je pense quand même que Passe à ton voisin n’est pas trop le genre de jeu qu’on aurait envie de regarder tous les jours et toute l’année. Nonobstant sa relative diversité conceptuelle, je pense que je m’en serais sans doute lassé assez rapidement si on l’avait programmé comme ça. Il m’offre certes une bonne petite dose de fun au visionnage, mais je pense que ce fun fonctionne mieux quand on me le propose plus occasionnellement.
Pour la prochaine fois, on va rester en 1997, sur un autre concept qui a peu duré…