Une fois n’est pas coutume, on va parler d’un concept britannique ; d’autant plus que certains diffuseurs étant de gros incubateurs de jeux, c’est du pain bénit pour moi pour faire de nouvelles découvertes, en espérant bien sûr tomber sur des concepts créatifs susceptibles de m’intéresser.
Ce n’est pas toujours le cas cela dit. Parfois, ça m’arrive de tomber sur des jeux corrects, comme Fifteen to One, jeu de culture générale proposé par Channel 4, et qui semble très renommé, vu qu’il a connu 35 saisons et une diffusion de 1988 à 2019 (avec une pause notable entre 2003 et 2014) ; et après visionnage, autant j’ai trouvé le jeu effectivement bon, autant il ne m’a pas particulièrement inspiré, à cause notamment de sa répétitivité et de son concept certes un peu recherché, mais pas au point de le trouver exceptionnel d’une façon ou d’une autre.
Mais le jeu d’aujourd’hui, en revanche, m’a curieusement davantage inspiré, alors qu’il a certains défauts en commun. Comme quoi… après, comme c’est encore un jeu qui n’a pas beaucoup fait parler de lui et qui n’a pas duré très longtemps, ça doit être mon instinct d’archéologue téléludovisuel qui a voulu lui donner une nouvelle chance de briller…
Decimate est donc un jeu proposé par la BBC (BBC One pour être plus précis), du 20 avril 2015 au 28 octobre 2016, présenté par Shane Richie, pour un total de 75 épisodes répartis en trois saisons (sans différences entre celles-ci, ce qui va me simplifier la tâche).
Les critiques de l’époque y ont vu un jeu allant de moyen à correct ; et je les rejoins plus ou moins là-dessus, même si j’ai envie d’être un poil plus généreux en valorisant le côté créatif, comme j’ai souvent tendance à le faire pour des formats comme Pressure Pad, Hardball, Breakaway et j’en passe qui tombent souvent dans l’oubli assez vite.
En fait, à ce niveau-là, je pourrais citer un certain Ian K de Carrick Gazette, dont l’avis est le suivant :
[Le jeu] était suffisamment plaisant à regarder ; mais il m’apparaît comme un jeu auquel il manque ce « petit truc en plus » que les jeux de culture générale à succès ont.
Et finalement, c’est un peu le leitmotiv de ces jeux-là. Avoir un bon concept ne suffit pas à faire un succès, et il y a toujours un petit truc en plus qui rend le jeu culte ; comme l’ambiance de Qui veut gagner des millions, l’énergie de Julien Lepers dans Questions pour un champion, le ton cassant de Laurence Boccolini dans Le maillon faible, les champions surfavorisés qui squattent pendant plusieurs mois voire années les jeux du midi, ou les pertes de temps sur les candidats qui se font chambrer par un Nagui en roue libre dans Que le meilleur gagne (j’ai pas dit que les jeux devenaient forcément cultes pour les bonnes raisons).
Mais bon, personnellement, ce qui m’intéresse principalement, c’est la découverte de concepts susceptibles de me plaire d’un point de vue mécanique ; aussi, dans cette optique, Decimate a toute sa place parmi mes articles. On va voir pourquoi.
Ah, et juste avant de me lancer : précisons que la société Shine France avait acheté les droits du concept en 2014 pour en faire une adaptation française… mais vous vous en doutez, on n’en a pas vu l’ombre par chez nous ; et ça m’étonnerait qu’ils soient intéressés pour le faire plus de 10 ans plus tard, alors que le concept a fini par tomber dans l’oubli… (dommage, mais bon, si on avait eu une adaptation du concept à l’heure actuelle, on l’aurait stupidement étirée sur deux heures, donc ce n’est peut-être pas plus mal…)
Le concept
Trois candidats (qui ne se connaissent pas forcément) font équipe ; et on leur confie en début de partie 20 000 £.
Et à l’instar de Money Drop, le challenge va être de conserver le plus d’argent possible… et surtout de pouvoir en garder à l’issue de la finale.
Oui, honnêtement, le parallèle est assez évident ; mais là où les concepts diffèrent, c’est au niveau de leur mise en scène (on en reparlera rapidement à la fin) et de leur mécanique.
Ici, le jeu se décompose en deux parties :
- Les trois premières manches, où chaque candidat passe individuellement, et où le but est de perdre le moins d’argent possible ;
- La finale, où l’équipe devra tenter de garder l’argent qu’elle aura réussi à sauver à l’issue des trois premières manches.
Les trois premières manches
Pour chaque manche, un candidat se retrouve face à l’animateur ; sachant que chaque candidat devra y passer, mais ils peuvent choisir l’ordre dans lequel le faire.
Chaque manche se compose de 10 questions, dont les 10 thèmes (ou plutôt mots-clés) sont annoncés à l’avance (une fois le choix du candidat fait). L’équipe dispose de 20 secondes pour se concerter et partager le maximum d’informations au sujet de ces mots-clés, au cas où ça pourrait servir au candidat qui va passer ; car sur un malentendu, ça peut marcher. (Et, si, c’est déjà arrivé que ça aide, en dépit de la courte durée de brainstorming et du nombre de mots-clés, comme quoi)

Puis le candidat répond à la série de 10 questions, chacune étant un QCM à 3 propositions de réponse ; le but étant évidemment de répondre correctement au plus de questions possible.
Car en cas de mauvaise réponse sur une question, la cagnotte perd 10% de sa valeur initiale en début de manche !
Autrement dit, pour la manche 1 (où la cagnotte démarre à 20 000 £), une erreur fait perdre 2 000 £, deux erreurs 4 000 £, etc.
Pour les manches suivantes, ça dépend donc du montant de la cagnotte à l’issue de la manche précédente. Par exemple, si la cagnotte était à 14 000 £ à l’issue de la manche 1, une erreur en manche 2 fera perdre 1 400 £, deux erreurs 2 800 £, etc.
Néanmoins, pour essayer de commettre le moins d’erreurs possible, les candidats disposent de deux jokers, utilisables 5 fois chacun pour l’ensemble des trois manches.
Le premier joker est le « pass-back », qu’on pourrait traduire par « transmettre » : si le candidat ne connaît pas la réponse à la question (ou a un doute), il peut l’utiliser pour laisser ses deux coéquipiers répondre à sa place.
Le second joker est le « overrule », traduisible par « passer outre ». Lorsque le candidat valide une réponse, ses deux coéquipiers peuvent utiliser ce joker en appuyant sur un bouton (à condition d’en avoir encore à disposition) s’ils pensent que la réponse est mauvaise ; et proposer celle qu’ils pensent être correcte.


Mécaniquement, je n’ai rien à redire sur ces trois manches, que je trouve très solides dans leur principe.
En effet, avec des questions qui sont toutes au format QCM, la possible concertation avant de commencer la salve de questions, et les 2 jokers à disposition utilisables 10 fois au total, on ne peut pas dire que les candidats soient lésés ; et même si garder intactes les 20 000 £ n’est pas évident, il y a tout de même moyen assez facilement d’aborder la finale avec un montant décent.
En outre, le concept met plutôt bien en avant le jeu d’équipe, avec les différents moyens mis à disposition pour maximiser les chances de répondre correctement.
Cependant, en termes d’intérêt de visionnage pour le spectateur… ce trio de manches pèche un peu.
Déjà, parce que le concept en soi est très répétitif, puisqu’on enchaîne tout de même 30 questions pendant un peu plus d’une demi-heure sur ce modèle ; et que le jeu n’est pas un parangon de gestion du rythme (du moins pour le moment). Après, j’ai déjà vu pire ; et là, au moins, on n’essaye pas d’amuser la galerie stupidement pour compenser. Mais bon, même si personnellement je préfère le « calme » (assez relatif tout de même) de Decimate à ce niveau-là, je suis conscient que pour d’autres, ça risque d’être un peu ennuyeux.
Mais aussi car, nonobstant les enjeux de conservation de la cagnotte, le risque d’être bredouille ou en situation vraiment critique durant cette phase de jeu est quasi nul.
En fait, pour que la partie prenne fin prématurément, la seule manière est qu’un candidat réponde faux à l’ensemble des 10 questions qui lui sont posées. Et ça, il faudrait vraiment soit le vouloir, soit être particulièrement malchanceux pour y parvenir…
Je parlais plus haut de Money Drop : pour le coup, c’est un peu mieux géré dans ce jeu-là, où le risque d’élimination peut survenir à n’importe quel moment (enfin, si on ne compte pas le remontage de 2015, qui vend parfois un peu la mèche sur l’issue de la partie…), et où le suspense reste donc efficace pendant toute la durée du jeu. Ce qui n’est d’ailleurs pas plus mal, car ça permet de compenser le rythme encore moins soutenu du concept d’ailleurs.
Donc, finalement, cette première phase de jeu montre davantage d’intérêt lorsque l’équipe parvient à sauvegarder une cagnotte vraiment élevée avant la finale, car ça fait davantage monter les enjeux de celle-ci.
Néanmoins, l’intérêt va être boosté avec la finale…
La finale
À nouveau, on propose 10 mots-clés à l’équipe ; et l’un des candidats va devoir répondre aux questions (mais cette fois-ci, ils auront le choix de l’envoi du candidat après avoir pris connaissance des mots-clés).
Mais cette fois-ci, le challenge va être chronométré (au fait, je ne l’ai pas précisé ; mais dans les trois premières manches, hormis les concertations sur les mots-clés, rien n’est chronométré, et les candidats ont tout le temps de la réflexion).
Le candidat choisi pour répondre passe devant l’animateur ; qui énumère alors l’énoncé de la première question (relative au premier mot-clé), avant qu’un chronomètre de 2 minutes ne s’enclenche.
Cette fois-ci, il n’est plus question de QCM (ni de jokers), le candidat doit donner la réponse directement. S’il donne la bonne réponse, l’animateur passe au mot-clé suivant ; sinon, il pose une autre question sur le mot-clé en cours.
Attention toutefois : au bout de 3 erreurs sur le même mot-clé, le chronomètre est stoppé, la cagnotte perd 10% de sa valeur, et l’équipe doit désigner un autre candidat (n’ayant pas encore participé à cette finale) pour prendre la relève. Le thème en cours est remplacé par un nouveau ; puis le chronomètre redémarre avec une nouvelle question.
Le but des candidats est donc de passer en revue les 10 thèmes durant le temps imparti ; et s’ils y parviennent, ils remportent le montant de la cagnotte.
Mais s’ils manquent de temps, ou si les trois membres de l’équipe se sont fait éliminer, ils ne remportent rien.

C’est jouable…

Ce concept de finale est pour moi vraiment très bon ; et là, il écrase totalement la façon dont se termine Money Drop. Eh oui, Money Drop, voilà comment on fait un bon concept pour savoir si l’équipe garde son argent ou non !
Cette fois-ci, en termes d’intérêt spectateur, la finale est bien plus prenante à suivre ; car ici, non seulement le chronomètre garantit un rythme bien plus soutenu que précédemment ; mais de plus, la possibilité de repartir bredouille est bien réelle.
Mais s’il est possible de ne rien gagner, la mécanique donne le sentiment que l’équipe mérite vraiment son gain sans pour autant être totalement injuste ou expéditive.
Ici, pour chaque mot-clé, il y a trois occasions possibles de le valider (et pas juste une seule, hein Money Drop…) ; et si ça ne suffit toujours pas, il y a la possibilité de passer à un autre candidat et un autre thème moyennant pénalité (et dans la limite des candidats n’ayant pas encore joué).
En outre, le temps alloué à la finale n’est ni trop long, ni trop court. Un bon candidat peut se débrouiller pour traiter les 10 mots-clés dans les temps avec un peu de marge ; et au pire, ça fait en moyenne 12 secondes par mot-clé, ce qui est plutôt raisonnable vu qu’il en faut généralement moins pour répondre à une question du premier coup.
Bref, si on pouvait trouver le reste de la partie un peu trop « calme », cette finale vaut très clairement le coup d’avoir attendu la fin du jeu.
Quelques pensées vagabondes avant de conclure
Comme d’habitude, je me suis surtout attardé sur le fond ; mais parlons quand même un peu de la forme.
Visuellement, chaque question/mot-clé est représenté/e par une colonne massive sur un écran au fond du plateau ; colonne qui devient dorée lorsque la question a été répondue correctement ; mais qui s’effondre en cas d’erreur, avec une voix-off qui prononce « Decimate ! ».
Et au début de chaque manche (finale comprise lorsqu’on change de candidat), les colonnes sont redessinées, avec une hauteur proportionnelle à ce qu’il reste de la cagnotte.


Bon, déjà, l’idée des colonnes qui s’effondrent donne déjà un petit style ; mais, de plus, ça donne une petite subtilité supplémentaire au titre du jeu.
En effet, « decimate » peut se traduire par « détruire », ce qui arrive donc aux colonnes en cas d’erreur ; mais aussi par… « décimer » (duh !).
Or, le terme « décimer » vient du latin « decimare », lui-même dérivé de « decem », qui veut dire « dix ». Hmmmmm… est-ce que ça ne ferait pas écho aux dix colonnes présentes sur l’écran, par hasard ?
D’ailleurs, pour expliquer d’où vient le terme « décimer » : dans la Rome antique, si une armée venait à commettre une faute grave (comme une mutinerie ou une désertion massive), elle pouvait être sanctionnée de la façon suivante : dix légionnaires reconnus fautifs devaient alors procéder à un tirage au sort pour désigner un malheureux perdant, qui se faisait alors exécuter par les neuf autres.
Bref, on ne pouvait pas choisir meilleur titre que « Decimate » pour ce concept de jeu ; dans la mesure où il fait à la fois référence à l’idée de destruction, au nombre 10 présent dans le concept, et à l’idée de sanction pour les candidats. J’en reste vraiment admiratif !
Mais pour en revenir au plateau de jeu : hormis les colonnes imposantes, celui-ci se remarque surtout par… son grand vide. En effet, hormis le bouton poussoir utilisé pour le joker « Overrule » et un canapé dans lequel les candidats patientent pendant que leur coéquipier répond en question, il n’y a rien.
Thématiquement, ce n’est pas spécialement injustifié. Après tout, l’idée est vraiment de mettre l’emphase sur ces énormes colonnes au fond ; et le fait que le plateau soit vide et haut de plafond rentre totalement dans cette idée. Néanmoins, il faut quand même s’y faire, car on a un peu de mal à passer outre cette sensation de vide au départ.

Total : 13/20
Vu mon appétence pour la créativité mécanique et son côté filé, Decimate est un jeu que je ne pouvais qu’apprécier. Dans le genre « cagnotte à maintenir la plus élevée jusqu’au bout », son concept est très solide et présente un intérêt certain, tout en se montrant assez juste envers les candidats pour ne pas donner l’impression qu’ils ne font que subir le principe.
Dans la forme, en revanche, je reconnais que ça reste perfectible ; en particulier, les trois premiers quarts du jeu étant plus posés, assez répétitifs et ayant un enjeu moindre, il faut surtout attendre la finale pour avoir l’impression de voir le concept véritablement décoller. Mais si ça ne vous dérange pas de regarder un jeu avec un rythme posé, ça ne devrait pas vous poser trop de problèmes ; et ainsi, vous profiterez mieux de sa conclusion.
Et comme je me sens d’humeur Léonie Gratin, on va continuer avec notre fétichisme du chiffre 10 pour la prochaine fois…
