Précisons tout de suite que le but de cet article n’est certainement pas de dire que c’est mal de défendre des associations dans les jeux TV (bien au contraire) ; mais que mon but ici est surtout de souligner l’impact que la défense d’une (ou plusieurs) association(s) peut avoir sur la mécanique d’un jeu, par rapport à une diffusion « normale ».
Depuis le temps que les jeux télévisés existent, ils ont eu le temps d’évoluer de différentes manières, aussi bien au niveau de leur mécanique que de leurs enjeux.
En fait, des enjeux, il y en a eu plusieurs : le plus souvent, les candidats jouent pour eux-mêmes ; parfois, ils jouent juste pour la beauté de participer (comme à Intervilles) ; et parfois, ils jouent pour des associations (enfin, le plus souvent, quand les candidats sont des people…).
Vous pensez que ça n’a pas d’influence sur la mécanique des jeux ? Eh bien… si. On ne peut pas toujours claquer des doigts en se disant qu’il suffit de remplacer des candidats lambda qui jouent pour eux-mêmes par des candidats (lambda ou non) qui jouent pour une association.
Voyons ça de plus près…
Deux types de mécanique
On pourrait grosso modo ranger les mécaniques des jeux TV en deux catégories, qui peuvent également converger.
D’une part, citons les jeux qui se focalisent sur une confrontation : ces jeux-là, ce sont les Des chiffres et des lettres, Questions pour un champion, Pyramide, Attention à la marche, Tout le monde veut prendre sa place, Les 12 coups de midi, Le maillon faible, La roue de la fortune, 1 contre 100, la version maestro de N’oubliez pas les paroles, Intervilles, La carte aux trésors, Pékin Express, etc.
Bref, des jeux où l’intérêt est de voir plusieurs candidats s’affronter, et lequel va gagner à la fin.
D’autre part, les jeux qui se focalisent sur un parcours précis : ceux-là sont moins nombreux, mais on peut quand même citer des exemples connus, comme Qui veut gagner des millions, A prendre ou à laisser, Money Drop, Le Millionnaire, la première version de N’oubliez pas les paroles, Fort Boyard (si on excepte la saison 2010…) ; et des exemples moins connus comme 30 000 euros chrono, Carbone 14, Êtes-vous plus fort qu’un élève de 10 ans, ou District Z.
Dans ceux-ci, l’enjeu est tout autre, car il n’y a qu’un seul candidat (ou qu’une seule équipe), que l’on suit du début à la fin ; et l’intérêt est de savoir combien celui-ci va gagner, au fil de ses péripéties.
Bon, cette classification est un peu trop rigide, et en pratique, parmi les jeux de la première catégorie, nombreux sont ceux à inclure une finale où le candidat vainqueur détermine son gain (si celui-ci n’est pas déterminé durant l’émission elle-même). On peut même citer le cas de 8 chances de tout gagner, qui est très hybride à ce niveau-là, avec une première manche de confrontation et deux autres manches de focalisation sur un parcours précis. D’ailleurs, c’est aussi parfois le cas pour la seconde catégorie, puisque Qui veut gagner des millions comportait également une manche de rapidité pour sélectionner le candidat.
Mais elle va nous être utile pour expliquer pourquoi c’est la plupart du temps très délicat d’introduire comme enjeu des gains pour des associations.
Le cas le plus simple : tous unis !
Pour les jeux de la seconde catégorie mentionnée ci-dessus, le problème ne se pose pas. Pour le coup, on peut tout aussi bien faire jouer des candidats qui jouent pour eux-mêmes que des candidats qui se battent pour une association, ça n’aura (quasiment) aucun impact sur la mécanique de jeu.
D’ailleurs, pour le cas de Fort Boyard, même si les candidats jouaient pour eux-mêmes lors des trois premières saisons (et 2010… mais on n’en parlera pas), le public retiendra surtout les candidats qui se battent pour une association depuis 1993.
Le seul impact que ça peut avoir sur la mécanique et l’enjeu, c’est le fait que le jeu s’en retrouve un peu trop « gentil », parce que ça pourrait être mal vu de faire perdre une association. Et par conséquent, le jeu en devient plus généreux.
Là où ça peut devenir gênant, c’est dans la volonté d’éviter que les candidats ne perdent pour ne pas qu’un scénario « déprimant » n’arrive. Je pense d’ailleurs que c’est un peu l’idée qu’il y a derrière certaines saisons plus récentes de Fort Boyard, où les mots-codes ont été particulièrement simplifiés par rapport à une certaine époque, afin de minimiser les scenarii de défaite (alors que le jeu prévoit déjà un gain minimum dans tous les cas depuis 2003).
Et là, vous voyez le problème : le jeu perd en intérêt dans sa mécanique. Etant très sensible à la façon dont un jeu met en place sa mécanique, je n’en vois finalement plus l’intérêt si celle-ci devient secondaire et que l’objectif premier n’est plus de proposer un jeu bien huilé, mais surtout d’éviter de faire perdre les candidats. Le jeu ne devient alors qu’un prétexte et perd en saveur, car j’ai l’impression d’avoir perdu mon temps en suivant 90% d’émission qui n’auront finalement que très peu d’impact sur le résultat.
Mais bon, ce n’est heureusement pas le cas de tous les jeux non plus. Toutefois, il serait souhaitable que les producteurs prennent en compte le fait que jouer pour une association ne doit pas altérer l’intérêt ludique outre-mesure.
En fait, la principale différence d’enjeu ne viendra pas de la mécanique de jeu, mais d’un autre aspect que les émissions adorent mettre en avant (pas que pour cette catégorie de jeu d’ailleurs) : 99% du temps, lorsque les candidats jouent pour une association, ce sont des people. D’ailleurs, dans le cas de Fort Boyard (oui, encore…), ce n’était pas systématique à une certaine époque, car jusqu’en 1995 on pouvait encore avoir quelques anonymes qui jouaient pour des associations.
Mais bon, au fil du temps, la dichotomie « anonymes = qui jouent pour eux-mêmes / people = qui jouent pour des associations » s’est installée et semble devenue quasi-impossible à déboulonner.
Et souvent… ça rend les jeux plus verbeux, et davantage un prétexte à en faire du divertissement. Si vous voulez savoir pourquoi j’ai une nette préférence pour les jeux avec des anonymes, ne cherchez pas plus loin. Ca n’a certes pas d’impact sur la mécanique, mais en revanche, ça en a sur le rythme. Ca se ressent d’ailleurs beaucoup sur certains formats : comparez une émission « classique » de Qui veut gagner des millions à une spéciale people, l’ambiance ne sera pas la même…
Bref, pour le cas des jeux qui se focalisent sur un parcours précis, on a vu que les différences d’enjeu étaient minimes. Mais quid des jeux qui mettent en scène des confrontations ? … c’est là que ça se complique.
En fait, là encore, on peut distinguer deux cas de figure, et les producteurs auront tendance à privilégier l’un ou l’autre.
Le cas plus délicat : les antagonismes…
Premier cas de figure : on ne change rien à la mécanique (ou presque), et on fait s’opposer des associations, comme on ferait s’opposer plusieurs candidats jouant pour eux-mêmes.
Pas grand-chose à rajouter. Pour le coup, pas besoin d’adapter les règles, ça reste la même chose que d’habitude.
Après, pour marquer le coup et éviter que des associations ne repartent bredouille, on a souvent une petite adaptation pour qu’elles ne soient pas complètement perdantes. Ainsi, dans Je suis une célébrité, sortez-moi de là où chaque candidat représente une association différente, les candidats repartent avec une petite cagnotte lors de leur élimination (qui grossit un peu plus au fil de l’émission si les candidats restent plus longtemps) ; et dans Pékin Express : duos de choc, en plus des amulettes, chaque binôme a une cagnotte personnelle qui grossit à chaque émission où ils sont encore dans la course (avec les deux premières étapes non éliminatoires en prime…).
Je pourrais aussi citer brièvement le cas particulier de 1 contre 100 et de son mur de candidats, où il arrivait que certains dans le mur représentent une association (le plus souvent un people là encore… mais on a déjà eu des collégiens, une fois).
En termes de mécanique de jeu, rien à redire de particulier là non plus.
Le seul aspect un peu gênant vient du fait de faire confronter plusieurs associations, parce qu’en extrapolant, on pourrait se dire qu’on les met en compétition… et certains y verront peut-être un côté un peu malsain. Mais bon, ça reste de l’extrapolation, le but premier reste avant tout de faire s’opposer des candidats.
Mais parfois… ça peut devenir un vrai problème. Et c’est d’ailleurs le problème principal que j’ai avec un nouveau jeu d’aventure sorti en 2022 : Les Traîtres : seront-ils démasqués ?, sur M6.
Dans Les Traîtres, on a des people qui s’affrontent, et qui jouent chacun individuellement pour une association. Parmi eux, certains seront désignés comme des « traîtres », et leur objectif sera d’éliminer les autres candidats ; alors que les autres candidats auront pour objectif de démasquer les traîtres et de les éliminer.
Déjà, on a un léger problème dans le fait que, comme ce jeu est basé sur des people qui s’éliminent entre eux, ça revient à mettre indirectement les associations en compétition, ce que je trouve déjà un peu gênant.
Mais surtout, ce jeu comporte des épreuves ayant deux objectifs : d’une part, permettre à un candidat d’avoir une immunité, et d’autre part, faire monter la cagnotte mise en jeu pour les associations. Compte tenu du concept du jeu, il peut être intéressant stratégiquement, pour certains candidats (les « traîtres »), de faire volontairement perdre un jeu ou une équipe, afin de s’assurer que certains candidats ne puissent pas avoir l’immunité. Sauf que, par conséquent, le fait de faire perdre volontairement un jeu fait également perdre de l’argent… donc ici, les associations passent malgré elles au second plan.
Et enfin, à la toute fin du jeu, les candidats restants doivent faire un choix stratégique non concerté, qui leur permet soit de partager les gains entre les deux associations, soit qu’une seule association ne les remporte… ce genre de dilemme est assez infâmant, quand même. Qui voudrait prendre le risque de mal se faire voir en refusant le partage ?
Bref, ce jeu gère particulièrement mal ses enjeux à ce niveau-là. Autant mettre les associations en compétition est une chose ; mais leur faire gagner potentiellement moins d’argent pour des questions de stratégie en est une autre. Le mieux pour moi aurait été d’avoir une seule association commune à défendre, des épreuves à part pour faire monter la cagnotte, et une victoire décernée à titre honorifique.
Le cas le moins intéressant : la mécanique du jeu passe au second plan
Et c’est probablement pour cette raison-là que d’autres jeux préfèrent opter pour le second cas de figure : faire jouer les concurrents pour la même association. Et là… c’est l’intérêt du jeu qui en pâtit. Enfin, pas tout le temps cela dit, je reviendrai sur un cas à part à la fin du paragraphe.
La raison en est évidente : pour un jeu dont l’intérêt est de faire se confronter des candidats, la compétition n’aura plus aucun intérêt, ou ne servira qu’à titre honorifique. Bref, le jeu assumera à 100% le fait de n’être qu’un divertissement pur.
C’est le cas notamment pour les éditions du Grand Concours spéciales Pièces Jaunes (en remplacement de celles de Qui veut gagner des millions, qui n’est plus aussi vendeur…). En fait, le jeu a certes toujours été une compétition avec un vainqueur désigné à titre honorifique ; mais le fait d’y avoir adjoint une association ne change quasiment rien. En effet, la production du jeu a promis une certaine somme d’argent qui allait se rajouter à la cagnotte pour chaque question posée… mais ce jeu a déjà une certaine fourchette de questions posées, puisqu’il a une structure fixe, et qu’on ne s’arrête pas dès la première erreur ! Bref, ce que vous faites ne sert à rien, autant annoncer directement que vous allez donner telle somme à l’association en début d’émission !
Après, j’exagère un peu le trait : il faut juste se dire qu’on regarde un jeu en deux temps, le premier étant une compétition dont le titre est honorifique (et en soi, ça n’a rien de spécialement gênant, après tout Intervilles fonctionne très bien sur ce principe), le second étant le gain pour l’association.
Mais le problème que ça pose, c’est qu’on a l’impression de regarder deux jeux en un, et de finalement ne pas avoir de trait d’union entre les deux.
Prenons par exemple les tournois de N’oubliez pas les paroles : lors de ceux-ci, on suit majoritairement une confrontation entre maestros, et l’intérêt principal est de savoir qui va gagner. Mais le jeu propose également une « vraie » finale (sur le modèle des quotidiennes), où l’argent est reversé pour une association. Sauf que le tournoi n’a absolument aucun impact sur cette finale, puisque les maestros chantent groupés lors de celle-ci. Dans Fort Boyard, le parcours de l’équipe depuis le début de l’émission a un réel impact (enfin, en théorie selon certaines saisons…) sur la séquence finale qui détermine le gain, et on a un tout cohérent et harmonieux. Ici, en revanche, c’est un peu comme si les producteurs se disaient « Ah zut, il faut qu’on joue pour une association ! Bon ben… on va mettre une finale collégiale vite fait à la fin, ça suffira. » Ce n’est certes pas affreux, mais ça donne l’impression de regarder deux séquences déconnectées.
D’autres jeux ont essayé de garder leurs règles habituelles, en remplaçant les candidats par des people et en les faisant jouer pour la même association à la fin. Et là encore, ça a pu poser certains problèmes.
Je me souviens d’un numéro spécial de La roue de la fortune avec Thierry Lhermitte dans lequel le jeu se déroulait avec le scénario habituel, c’est-à-dire trois candidats avec leurs cagnottes « personnelles », et celui qui a le gain le plus élevé à l’issue des quatre manches qui part en finale ; mais à la différence que le gain du gagnant revenait à l’association défendue par les trois candidats. Vous voyez le problème avec ça ? En pratique, pour que l’association en ressorte la plus gagnante possible, il faudrait que ce soit à chaque fois le même candidat qui remporte chaque manche… puisque à l’issue de chaque manche, seul le candidat ayant trouvé l’énigme conserve son argent, les compteurs des deux autres étant remis à zéro. Christophe Dechavanne lui-même avait souligné cette absurdité durant l’émission, en faisant remarquer à l’une des candidates qu’elle aurait dû laisser gagner l’un de ses concurrents !
Un autre exemple qui me vient en tête est la spéciale animateurs de La piste de Xapatan, le jeu d’aventure de 1992. Cette émission a cumulé tous les problèmes que pouvait représenter la défense d’une association dans un format qui n’était pas prévu pour à la base.
Déjà, tous les candidats jouaient pour la même association, donc la compétition entre eux n’avait pas grand intérêt ; et de plus, alors que selon les règles normales de l’émission, ils auraient très facilement perdu (oui, désolé, spoiler pour ceux qui voulaient regarder cette émission, mais honnêtement, la « surprise » du résultat n’en valait pas la peine…), ici la production avait fait une exception en décrétant à la dernière minute que le chronomètre n’avait finalement aucune importance, sous prétexte que les candidats jouaient pour une association (on retrouve le côté « gentil » au détriment de la mécanique de jeu que j’ai évoqué quelques paragraphes plus tôt). Et comme par hasard, ils ont décroché le gain maximal alors que leur parcours était plutôt piètre…
Bref, l’émission aura peut-être été divertissante, mais la mécanique de jeu aura été totalement reléguée au second plan.
Néanmoins, il y a quand même eu un jeu pour lequel le fait d’avoir tous les concurrents jouant pour la même association n’en a pas desservi la mécanique, et pouvait même la bonifier : Le Maillon Faible !
Il arrivait à ce jeu d’organiser des émissions spéciales à thème, avec à chaque fois 9 candidats qui avaient un point commun (sosies d’Elvis, acteurs AB Prod…), et qui jouaient tous pour la même association. Mais ici, ça passait bien : en effet, le but du Maillon Faible est à la fois d’éliminer des candidats ; mais aussi de faire grossir une cagnotte commune, qui a plus de chances de grossir en ne conservant que les meilleurs éléments au fur et à mesure du jeu. Ici, la seule différence est que la cagnotte ne revient pas à un candidat, mais à une association. Et de ce fait, la seule chose qui disparaît dans le processus, c’est la stratégie d’élimination. Bon, personnellement, je n’étais pas très fan des votes par stratégie, donc ça ne me dérangeait pas que cet aspect-là passe à la trappe. Ca permet justement de se reconcentrer sur la fructification de la cagnotte, ce qui n’est pas plus mal.
La seule manche qui avait par conséquent moins d’intérêt devenait la finale, qui ne sert alors qu’à désigner un vainqueur à titre honorifique ; mais ça reste une perte légère.
Conclusion
Par conséquent, y a-t-il une façon « élégante » de faire jouer des candidats pour une association, dans un jeu dont le but premier est de faire s’opposer des adversaires, tout en gardant une mécanique de jeu intacte dans son intérêt ? J’en doute fort. Peut-être qu’une production trouvera la solution miracle un jour, mais la conciliation entre des enjeux non lucratifs et une compétition au sein d’un même jeu TV me semble par nature relativement incompatible.
A quelques rares exceptions près, la solution la plus élégante reste de ne réserver ce genre d’enjeu qu’à des jeux dont l’intérêt n’est pas de suivre une confrontation de plusieurs candidats, mais le parcours d’un candidat ou d’une équipe. Pour les autres cas de figure, si pour vous la mécanique reste secondaire et que vous ne cherchez pas particulièrement à regarder un jeu abouti à ce niveau, tant mieux ; mais ça n’enlèvera pas le fait que l’histoire de l’enjeu n’a pas été étudiée suffisamment sérieusement.