Le 24 juillet 2024, à la suite d’un appel d’offres mené par l’Arcom pour renouveler un grand nombre de fréquences TNT installées depuis 2005, le verdict est tombé : alors que deux nouvelles chaînes feront leur apparition, C8 et NRJ12 devront en revanche laisser leur place à partir de mars 2025.
On peut le dire : c’est une mini-révolution pour le PAF. En effet, non seulement on a deux chaînes qui se font remplacer ; mais de plus, ça a engendré d’autres rebondissements en cascade, comme le départ des chaînes payantes de Canal+ (pour plusieurs raisons, dont officiellement la non-reconduction de C8), ainsi que la renumérotation des chaînes.
En revanche, plus subjectivement, cette mini-révolution a beaucoup fait réagir ; en particulier dans le cas de C8, où beaucoup ont été déçus, et où les réactions négatives ont été plus vives. (La pauvre NRJ12, en revanche, n’a pas bénéficié d’autant de soutiens…)
Les exemples ne sont pas difficiles à trouver, mais je peux citer par exemple l’avis de la productrice Alexia Laroche-Joubert à ce sujet (productrice pour laquelle le très peu de respect que j’avais envers elle s’est définitivement envolé suite à ses propos sur l’affaire…), qui évoque plusieurs arguments assez fallacieux, et que je ne manquerai pas de contre-argumenter (c’est d’ailleurs en partie ses propos qui m’ont motivé à écrire cet article). De toute façon, en tant que PDG du groupe Banijay France depuis 2023, dont la société de Cyril Hanouna (H2O Productions) est une filiale (Hanouna étant d’ailleurs l’un des actionnaires de Banijay), je doute quelque peu de sa neutralité.
D’ailleurs, je vais le dire tout de suite : je comprends totalement les choix de l’Arcom de ne pas avoir reconduit les deux chaînes en question, et je les trouve très justifiés. Mon seul regret étant qu’à mes yeux, une troisième chaîne aurait dû connaître le même sort… mais bon, c’est déjà rassurant de voir que le PAF n’est pas gravé dans le marbre. Après tout, on aurait très bien pu rester au statu quo, de peur de ne vouloir rien changer.
Bref, mon but ici est d’expliquer pourquoi, de mon point de vue, la décision de l’Arcom de ne pas reconduire C8 et NRJ12, au profit de deux nouvelles chaînes, était justifiée.
Mais avant de commencer, quelques précisions :
- Pendant tout l’article, je précise que, lorsque je parle de l’arrêt de C8 et NRJ12, je parle de leur non-reconduction sur la TNT, et non d’une décision de fermer purement et simplement les chaînes en question, qui auraient pu continuer à émettre par d’autres moyens. C’est important, car ici, la question concerne la justification du maintien des chaînes sur la TNT, ressource publique en grande partie sous la responsabilité de l’Arcom, et à destination du grand public. Pas l’existence des chaînes elles-mêmes.
- Si je dis comprendre la décision de l’Arcom, je ne me réjouis pas non plus du fait que deux chaînes risquent de mettre la clé sous la porte, quelle qu’en soit mon opinion. C’est évidemment triste pour ceux qui les apprécient, et surtout pour ceux qui y ont travaillé. Toutefois, l’argument du chômage technique ne justifie pas de contredire la décision, j’y reviendrai.
- Bien que j’aie effectivement une image majoritairement négative de C8 en particulier (et pas particulièrement positive de NRJ12), je tiens à souligner que ces chaînes ont quand même su apporter du positif de temps à autre. Outre certains jeux passés par mes soins que j’ai pu apprécier dans une certaine mesure, je pourrais également citer William à midi ou les émissions animalières de C8.
- Enfin, même si ce n’était pas mon intention, je crains de devoir faire un ou deux apartés jugés plus politiques pour expliquer certains de mes arguments. N’y voyez en aucun cas une volonté de ma part de mettre en avant une opinion politique ; mais certains arguments des détracteurs de la décision de l’Arcom me forcent un peu la main…
Le cas C8
On va commencer avec le cas le plus polémique…
Bon, je pense qu’on sera d’accord pour dire que la raison de la non-reconduction de la chaîne était plutôt évidente, et pourrait se résumer à une émission (et son animateur) en particulier : Touche pas à mon poste.
Une émission tristement célèbre pour avoir accumulé polémiques et sanctions pendant plus de 10 ans ; à tel point qu’on trouve beaucoup de médias sur le sujet pour en faire des florilèges (par exemple, les vidéos de Sir Gibsy comme celle-ci ou celle-là – car il y avait clairement matière à en faire plus d’une). Et le pire, c’est qu’elle n’était même pas comme ça à la base. Ceux qui se rappellent de l’époque où c’était une émission hebdomadaire de France 4 davantage inoffensive doivent d’ailleurs beaucoup regretter de voir la façon dont elle a évolué…
Je ne vais pas faire la liste exhaustive de tout ce qui a été reproché à l’émission : mais, dans le lot, on peut citer des dérapages sexistes et homophobes, des insultes publiques, des cas d’humiliation et d’atteinte à la dignité humaine, des fake news et des théories du complot présentées nonchalamment, la surreprésentation de courants politiques au détriment des autres…
Notons au passage que tout ça a commencé à apparaître principalement à partir de 2015-2016, lorsque l’actionnaire devenu majoritaire de Vivendi, Vincent Bolloré, a pris le groupe Canal en main. D’ailleurs, sa mainmise ne s’est pas faite ressentir que sur C8, mais également sur feue I>télé (rebaptisée en CNews), causant un départ massif de journalistes ayant dénoncé son ingérence sur l’indépendance éditoriale de la chaîne. C’est donc particulièrement culotté d’avoir pour slogan « La liberté d’expression n’a jamais autant fait parler », quand on a fondé sa chaîne en bafouant les convictions des journalistes qui y travaillaient à la base, et donc en bridant leur liberté à eux…
Et sinon, je pourrais également citer un autre cas d’ingérence décorrélé de TPMP, avec la diffusion le 16 août 2021 du film Unplanned, qui, outre son propos polémique, a également valu une mise en garde de la part du CSA en raison de sa signalétique inappropriée.
Bref. Avec ce que je viens de citer pour TPMP, ça justifiait déjà amplement l’arrêt de l’émission. C’est même un miracle qu’elle ait pu tenir aussi longtemps alors que ses polémiques sont loin de dater d’hier.
Mais pour certains, ça ne justifie pourtant pas encore la décision de ne pas reconduire C8.
Pourquoi sanctionner la chaîne, et pas juste l’émission ou l’animateur ?
Parmi les détracteurs de l’arrêt de la chaîne, certains ont avancé l’argument suivant : pourquoi sanctionner C8, si le problème venait juste d’une émission en particulier, qu’on aurait juste pu supprimer ? Après tout, pourquoi des programmes comme Gym Direct ou William à midi, ou encore tous les techniciens n’étant pas liés à des productions d’Hanouna, devraient être des victimes collatérales ?
Déjà, c’est loin d’être la première fois que l’Arcom sanctionne une chaîne à cause de l’un de ses programmes qui aurait dérapé. C’est la procédure standard.
Mais, surtout, parce que c’est le diffuseur qui doit valider ce qu’il montre, et s’assurer qu’il maîtrise l’antenne qu’on lui a confiée. Parce que si Hanouna et son émission ont une forte part de responsabilité, les directeurs de la chaîne sont tout autant responsables d’avoir laissé passer ça.
Et on a eu des précédents de directeurs de chaîne qui ont tapé du poing lorsqu’ils se sont aperçus qu’un de leurs visages était allé trop loin. Ainsi, en 1995, les dirigeants de TF1 se sont séparés de Patrick Sébastien, après les polémiques sur son émission Osons.
Dans le cas de TPMP, en revanche, on remarque surtout une inertie toute particulière à ce niveau-là, avec des dirigeants qui laissent totalement faire Hanouna et ne cherchent pas à le brider.
Je rappelle en effet que les premières grosses polémiques ont commencé à éclater en 2015-2016 ; et que, depuis, il n’y a eu aucun progrès de fait. Et ce, malgré l’accumulation de sanctions auprès de l’Arcom, avec un total cumulé de plus de 7 millions d’euros d’amendes. C’est un record.
Donc si les dirigeants de C8 avaient vraiment été responsables, ils auraient au moins sommé leur animateur-producteur vedette de se calmer, plutôt que d’encaisser des sanctions censées les remettre en question. Mais non, ils ont laissé courir en connaissance de cause.
Et, certes, durant leur audition pour la reconduction de la chaîne en été 2024, ils avaient avancé l’idée de diffuser TPMP en différé, afin de pouvoir couper sur le vif des séquences allant trop loin ; mais c’était plus pour pigeonner l’Arcom qu’autre chose. Car ce n’était pas lors de cette audition qu’il aurait fallu le proposer, mais des années plus tôt. Et quand on voit que ça n’a finalement pas été mis en place suite à l’annonce de l’arrêt de C8, on voit qu’il n’y avait aucune vraie volonté de réellement contrôler l’antenne.
Donc même si on avait juste supprimé l’émission qui fâche… qu’est-ce qui aurait garanti que la situation ne se serait pas reproduite, avec une autre émission, qui aurait pu être validée par les mêmes dirigeants ? À nouveau, d’autres chaînes se sont montrées plus réactives et radicales, en limogeant l’élément perturbateur avant qu’il ne mette définitivement en péril l’image de la chaîne.
Bref, diriger une antenne, c’est avant tout être responsable. Y compris de tous ceux qu’on dirige. Si certaines émissions sont supprimées, si des techniciens sont mis au chômage technique, c’est avant tout la responsabilité des décideurs, parce qu’ils n’ont pas su faire leur travail correctement, et ont montré qu’ils ne savaient pas maîtriser leur antenne. Alors que s’ils avaient su le faire, personne n’aurait été mis au chômage forcé, et on aurait pu continuer à regarder tranquillement William à midi.
Pourquoi s’acharner sur C8 en la supprimant de la TNT, alors qu’ils ont déjà payé leurs amendes ?
Un argument que, pour le coup, je n’avais pas lu ailleurs, avant de consulter l’interview d’Alexia Laroche-Joubert.
En effet, dans son interview, elle a soulevé ceci :
Le principe d’une justice, c’est quand vous avez payé votre condamnation. Vous ne pouvez pas être condamné deux fois. C8 a payé 7 500 000 euros. Ils ont été condamnés et ont payé leur dette.
D’une part, j’y reviendrai à la toute fin : mais je rappelle qu’on s’inscrit ici dans une procédure d’appel d’offres, dont le but n’était initialement pas de sanctionner telle ou telle chaîne, mais de juger de la pertinence des projets présentés, susceptibles eux aussi d’intéresser un certain public.
Et d’autre part, en partant de l’hypothèse que C8 a effectivement pâti de ses différentes sanctions… ben, ça restait mérité.
À nouveau, je rappelle que les polémiques remontent à au moins 2015-2016 ; et que depuis, la chaîne ne s’est jamais remise en question quant au contrôle de son antenne pendant près de 10 ans. Et ce, malgré les sanctions monétaires récurrentes. Même avec une amende record de 3,5 millions d’euros, même avec un cumul total de 7,5 millions d’euros d’amendes.
Donc au bout d’un moment, si les sanctions pécuniaires, aussi élevées soient-elles, ne suffisent plus, parce que la chaîne (et la société de production d’Hanouna) est toujours prête à les éponger, comment l’Arcom est supposé leur faire comprendre autrement que leur comportement est irresponsable, si ce n’est prendre une décision plus radicale ?
Personnellement, j’ai fréquenté des forums avec des règles de modération claires, qui stipulent qu’en cas d’entorse aux règles, les membres peuvent se faire sanctionner, et ce de façon graduelle. On commence par des avertissements ; si ça ne suffit pas, on bannit le membre temporairement ; et si ça ne suffit toujours pas, on bannit le membre définitivement. Et si on en vient là, c’est parce que le membre n’a jamais su se remettre en question, malgré des sanctions moins fortes. Et on ne pourra pas dire qu’il n’a pas été prévenu.
Bref, pour citer Delphine Ernotte, qui avait très bien résumé la situation :
Quand vous passez votre temps à griller des feux rouges, on vous retire votre permis de conduire.
Non, faire appliquer des règles basiques n’est pas une décision politique
Même si j’essaie ici justement de décorréler l’aspect politique de la décision de l’Arcom, et que mon but n’est pas de prendre parti ; si vous n’avez pas envie de me lire en train de parler politique, sautez directement au paragraphe suivant.
Autre argument avancé par certains détracteurs de la décision de l’Arcom : l’aspect “politique” de la suppression de C8.
En effet, ce n’est pas pour rien que, parmi les réactions de la sphère politique, ceux qui ont le plus applaudi cette décision étaient marqués à gauche, et ceux qui l’ont vilipendée étaient marqués à l’extrême droite. Ce qui n’est finalement guère étonnant, vu les penchants politiques assumés de Vincent Bolloré et la surreprésentation de ce courant politique dans l’émission.
D’ailleurs, pour revenir un peu en arrière, quelques mois avant les auditions de l’été 2024, les dirigeants de C8 et Cyril Hanouna avaient été auditionnés par l’Assemblée Nationale pour une commission d’enquête, suite aux débordements de la chaîne (ainsi que de CNews) ; et le rapporteur de la commission était Aurélien Saintoul, député affilié à l’ex-NUPES (donc la gauche). Cette commission s’est conclue par une demande à l’Arcom de contrôler davantage les chaînes.
Donc bon, déjà, au vu de la conclusion de la commission, on peut dire que l’Arcom a juste fait le travail qu’on lui a demandé, parce qu’il a estimé que les débordements étaient devenus trop nombreux… et s’il ne l’avait pas fait, on le lui aurait reproché. Donc, dans les deux cas, il y aurait forcément eu des mécontents…
Mais surtout : je rappelle que la commission concernait également CNews ; qui, elle, n’a pas été supprimée de la TNT. Ce qui a là encore suscité quelques mécontentements du côté gauche au passage ; comme quoi, on ne peut pas dire que la décision de l’Arcom les ait entièrement satisfaits non plus.
Et je ne suis pas dans la tête des dirigeants de l’Arcom ; mais je pense que si les motivations derrière la suppression de C8 avaient vraiment été politiques, il n’y aurait eu aucune raison pour que CNews ne soit pas supprimée elle aussi, vu qu’elle est tout autant marquée à l’extrême droite, et a eu au passage ses quelques condamnations pour manquements à ses obligations elle aussi (certes largement moins nombreuses que C8, mais tout de même). Et puis vous pouvez m’expliquer pourquoi, si la décision de (non-)reconduction des chaînes avait vraiment été politique, NRJ12 a eu droit elle aussi à un arrêt, alors qu’elle n’était pas du tout concernée par ces histoires et n’a jamais fait valoir de quelconques valeurs politiques ?
En fait, on pourrait limite y voir une façon de ménager la chèvre et le chou de la part de l’Arcom, justement pour qu’on ne l’accuse pas d’un quelconque favoritisme politique.
En outre, à l’instar d’autres hautes autorités, il me semble qu’un certain devoir de neutralité est idéalement exigé ; donc insinuer qu’il y a forcément un aspect politique derrière les décisions prises par ce genre de responsables, je trouve ça quand même assez insultant d’insinuer qu’ils font leur travail en se basant sur des convictions personnelles plutôt que sur leur déontologie…
Et même si je retire le côté “surreprésentation de l’extrême droite” de la liste des tares de TPMP, je rappelle qu’il reste encore beaucoup de choses condamnables à son sujet, sans qu’on n’ait besoin de les connoter “extrême droite” pour autant.
Les dérapages sexistes et homophobes, l’atteinte à la dignité humaine, la propagation de fake news et de théories du complot, les insultes publiques (qui, au passage, auraient été tout autant sanctionnables si elles avaient été prononcées envers des élus d’extrême droite qu’envers Louis Boyard ou Anne Hidalgo… mais c’est juste que TPMP n’a jamais insulté d’élus de ce bord-là, donc forcément…) : tout ça est blâmable et sanctionnable, et on n’a pas du tout besoin d’être rattaché à la politique pour le justifier.
Reprenons notre exemple des forums en ligne : quand vous vous inscrivez, vous vous engagez à suivre une charte de bonne conduite, qui vous demande de respecter vos interlocuteurs, de ne pas faire de dérapages, d’insultes, de discrimination, d’incitation à la haine, etc. et de reconnaître qu’en cas de dérapage de votre part, les modérateurs peuvent vous sanctionner. Avec des sanctions pouvant aller d’un simple avertissement à un bannissement définitif, si vraiment vous avez accumulé les mauvaises conduites.
Si ces règles sont là, ce n’est pas pour appliquer une idéologie quelconque, mais pour garantir le bon déroulement de la vie du forum, et des échanges sereins, et ce pour tous les contributeurs, ainsi que pour les lecteurs.
Pour les chaînes de télévision, c’est la même chose, si ce n’est que la “charte” prend la forme d’une convention signée auprès de l’Arcom, que les diffuseurs s’engagent à respecter. Donc si un diffuseur ne la respecte pas, c’est normal qu’on le sanctionne ; et s’il récidive continûment, c’est normal qu’on applique la sanction la plus forte. Et il me paraît clairement impensable que la convention de C8 fût aussi laxiste…
En fait, l’”argument” de la décision politique est surtout avancé par ceux qui ne comprennent pas, ne veulent pas comprendre, ou font exprès de ne pas comprendre que la modération des contenus . Ou prônent une certaine tendance à l’anarchie. Ou d’une certaine forme de la “liberté d’expression”…
“C’est de la censure !” / “C’est un déni de démocratie !”
Reprenons l’interview d’Alexia Laroche-Joubert :
Vous parlez d’un déni de démocratie. […] Vous enlevez à un public, je ne parle même pas de TPMP, je parle d’une chaîne de télévision qui est la première de la TNT, vous retirez une chaîne à un public. Donc ça, pour moi, c’est un déni de démocratie.
Déjà, je trouve ça assez condescendant pour NRJ12, parce qu’elle insinue plus ou moins que C8 méritait davantage de rester au vu de son statut de “première chaîne TNT”… et à aucun moment, elle ne prend la défense de NRJ12, dont le public est certes plus restreint, mais existe quand même.
Au passage, je sais que cet argument est facile ; mais si une chaîne TNT gratuite venait à faire d’excellentes audiences en diffusant des contenus légalement répréhensibles toute la journée (comme des œuvres pornographiques à des heures où la chaîne peut être regardée par un public non majeur), ce n’est pas parce que l’audience serait excellente que ça rendrait la chaîne intouchable pour autant.
Là, à nouveau, insinuer qu’on devrait quand même laisser la chaîne continuer au nom d’une soi-disant “démocratie”, c’est vraiment passer l’éponge sur toutes ses dérives, voire les cautionner. Même pour ceux qui apprécient C8 ou TPMP pour autre chose que leurs polémiques et qui les regardent juste sans prise de tête, ça n’empêche pas de garder un esprit critique et de se dire que, quand on fait une bêtise, il faut quand même être puni pour ça.
Et puis, surtout : en quoi le fait que la chaîne soit appréciée par un certain public justifie qu’elle devienne intouchable ? En quoi c’est un déni de démocratie de sanctionner une chaîne en particulier, parmi tant d’autres qui véhiculent déjà des opinions diverses et variées ?
Justement, on est loin du temps de l’ORTF, on a quand même désormais le choix entre plein de chaînes, voire pléthore de médias en comptant les stations de radio ou les plateformes de streaming. Tout le monde a largement de quoi trouver son compte parmi l’offre existante, et ce n’est pas le retrait d’une chaîne de la TNT, pour des raisons justifiées, qui va mettre péril en la demeure. Et insinuer que tous les autres médias se ressemblent trait pour trait serait fort de café, on voit des opinions diverses être exprimées dans des médias divers. C’est juste que certains médias savent où se trouve la limite entre liberté d’expression et contenus haineux ou non véridiques…
Et ce qui permet cette liberté médiatique, c’est aussi le fait qu’on soit à une époque où les différentes technologies, ainsi que des législations allant dans ce sens, ont permis de pouvoir s’exprimer plus facilement.
Mais le problème avec ça, c’est qu’il faut tout de même réguler ce que les gens disent ; car, pour paraphraser un certain personnage de comics, un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. Donc, oui, vous avez tout à fait le droit de vous exprimer publiquement ; mais faites tout de même attention à ce que vous dites, parce que vous en êtes responsable..
Pour prendre un autre exemple, citons le Code de la route.
Oui, c’est peut-être ennuyeux de respecter certaines règles, dont vous ne comprenez pas forcément l’intérêt au premier abord ; mais si on a défini ces règles, c’est pour une raison précise, à savoir rendre la conduite plus sûre et plus accessible.
Autrement, si on avait une anarchie automobile, avec une absence totale de règles de circulation, la conduite deviendrait beaucoup trop dangereuse, non seulement pour les conducteurs, mais également pour les piétons ; et à un tel stade, si on veut éviter l’hécatombe, il faudrait alors soit totalement la supprimer, soit n’autoriser que les personnes suffisamment responsables à conduire.
Donc, oui, c’est justement le fait de réguler la conduite automobile qui permet de la rendre accessible au plus grand nombre.
Bref, c’est très facile pour les diffuseurs de venir se plaindre qu’ils se font censurer, alors qu’ils savent très bien eux-mêmes ce qu’ils font.
Car je rappelle qu’ils ont signé (et donc accepté) une convention auprès de l’Arcom, et que celle-ci détaille très nettement leurs droits et leurs devoirs, dont celui de maîtriser leur antenne. Venir se plaindre alors qu’ils savent très bien qu’ils n’ont pas respecté leur convention, c’est de la mauvaise foi pure et simple, et un moyen d’émouvoir leur public en les faisant réagir dans leur sens, sans les faire réfléchir.
Et c’est une stratégie qui devient malheureusement de plus en plus répandue pour véhiculer des opinions controversées, en faisant semblant de s’indigner qu’on les “censure”, alors que ceux qui sont derrière savent très bien qu’ils jouent avec les règles, et espèrent toucher la corde sensible de leur public de façon fallacieuse pour les amener dans leur sens.
Donc, s’il vous plaît, ne vous laissez pas porter par vos émotions au quart de tour, et faites un effort de réflexion pour vous demander si ceux qui hurlent à la “censure” sont vraiment légitimes pour le faire.
Le cas NRJ12
Parlons à présent de NRJ12 ; et heureusement, ça devrait être beaucoup plus rapide et moins polémique.
Déjà, parce que la suppression de la chaîne a ému beaucoup moins de monde (en fait, c’est surtout Jean-Paul Baudecroux, le patron du groupe qu’on a entendu se prononcer là-dessus) ; mais aussi parce que ses “torts” sont d’une toute autre nature.
Bon, “torts” est un bien grand mot, certes. Même si la chaîne n’était clairement pas réputée pour sa qualité de programmation (surtout quand on pense à des programmes comme Les Anges de la télé-réalité…), elle était quand même très loin d’atteindre les sommets de TPMP en la matière ; et, de toute façon, ça m’étonnerait fort que l’Arcom ait justifié sa décision de cette façon, NRJ12 n’étant ni pire ni meilleure que d’autres chaînes à ce niveau-là.
En fait, le problème vient plutôt du manque de ressources de la chaîne, et de son manque de plus-value et d’inédit.
Bon, certes, là encore, reprocher ça uniquement à NRJ12, ce serait fort de café. Après tout, on a également raillé la TNT de façon générale pour sa programmation low-cost, le manque de diversité de ses programmes, avec des chaînes meublées à grands coups de séries ou de programmes diffusés pendant plus de quatre heures… y compris d’ailleurs des chaînes autrement plus ambitieuses comme C8 (qui adorait meubler ses jours fériés à grands coups de bêtisiers toute la journée) ou TMC (qui peine à exister en dehors de Quotidien et des prime-time).
À ce niveau-là, on peut quand même noter quelques progrès ça et là ; en particulier depuis le lancement de D8 en 2012, qui aura motivé certaines chaînes à muscler leur access. Certes, ça ne meuble pas l’intégralité de l’antenne convenablement (en particulier les heures creuses, pour des raisons économiques évidentes), mais c’est toujours ça de pris.
En revanche, certaines chaînes continuent à se démarquer encore et toujours par leur manque d’ambition et/ou de nouveauté. Les premiers exemples me venant à l’esprit étant TF1 Séries Films et 6ter, les chaînes de trop des groupes TF1 et M6, dont les nouveautés et inédits proposés en un an doivent se compter sur les doigts d’une main ; et qui auraient à mon sens clairement mérité de ne pas être reconduites, si elles avaient été concernées par l’appel d’offres (mais pour ça, il faudra attendre l’expiration de leurs conventions en 2027).
NRJ12 est… plus ou moins dans ce cas. En effet, depuis sa création en 2005, elle a connu des hauts et des bas ; mais depuis quelques années, ce sont surtout les bas qu’elle tend à tutoyer.
Revenons rapidement sur l’histoire de la chaîne. À son lancement en 2005, elle misait majoritairement sur les programmes musicaux, les séries et les mangas ; et à partir de 2007, elle s’est lancée dans la production de ses propres magazines et émissions de télé-réalité. Ce qui lui aura permis de connaître ses années les plus prospères (dont le pic aura été un certain “Non mais allô quoi”…) ; et ce n’est sans doute pas pour rien que l’image de NRJ12 qui vient immédiatement en tête pour certains, c’est une image de télé-poubelle, vu le côté peu valorisant de ce genre de programmes.
Cependant, la chaîne en était consciente ; et même si ça fonctionnait plutôt bien, ça restait quand même risqué sur le long terme de miser plus spécifiquement sur un auditoire qui avait vocation à grandir, et à naturellement se désintéresser de ce genre de programmes une fois passé le cap de l’adolescence.
Aussi, en 2015, elle a essayé de devenir un peu plus généraliste, et de renouveler ses programmes et ses incarnations pour essayer de monter en gamme (par exemple, avec le remake de l’Académie des 9). Ça aura malheureusement été un fiasco, et la chaîne sera revenue à ses fondamentaux seulement quelques mois plus tard. Et autant je respecte tout de même la tentative, autant l’erreur à mon sens a été de ne pas avoir laissé plus de temps à ces nouveautés pour s’installer. Car la chaîne était déjà estampillée “télé-poubelle” avant cette tentative, et ne pouvait donc pas espérer changer d’image du jour au lendemain.
Finalement, NRJ12 est très vite revenue à ce qui fonctionnait le mieux… mais le mal était déjà fait. Entre la tentative ratée de reconversion de 2015, et l’usure naturelle du genre de programmes qu’elle mettait en avant, l’audience n’aura finalement fait que baisser de plus en plus, et les rentrées publicitaires avec. Malgré d’autres nouveautés en matière de magazines ou de séries, rien n’y fait, et la chaîne ne parvient pas à enrayer son déclin.
Si bien qu’au bout d’un moment, avec ses 0,9% de parts de marché sur toute l’année 2024 (soit moins que Chérie 25, l’autre chaîne du groupe, à 1,3%, en étant pourtant encore moins bien placée dans la numérotation TNT…), la chaîne n’avait malheureusement plus grand-chose à investir pour renouveler sa programmation ; et ce n’était pas une fournée de 40 numéros de The Song, noyée dans un océan de rediffusions, qui allait changer la donne.
Et ça, l’Arcom n’a pas manqué de le souligner, lors de l’audition de la chaîne pour son renouvellement. Car non seulement la chaîne ne présentait quasiment plus de plus-value en matière de programmation ; mais de plus, les résultats négatifs de la chaîne se sont accumulés.
En effet, rendez-vous compte que, même pendant son “âge d’or” de 2007-2015, NRJ12 n’a jamais été rentable depuis sa création… et ce n’est clairement pas en passant sous le seuil du pourcent d’audience qu’elle y parviendra.
Au passage, je n’en ai d’ailleurs pas parlé pour C8 ; mais, depuis sa création en 2005 (périodes Direct 8 et D8 incluses), la chaîne aura quand même accumulé plus de 736 millions d’euros de pertes. Donc même de ce point de vue-là, ça aurait pu être un motif pour ne pas reconduire C8…
Bref, même si c’est triste à dire, si NRJ12 a fini par mourir, c’est tout simplement parce qu’elle n’était plus viable ; et j’ai presque envie de dire que ça rendait finalement davantage service à la chaîne d’arrêter les frais.
De fait, ça rend assez pathétiques les réactions de Jean-Paul Baudecroux au sujet de l’annonce de l’arrêt de la chaîne ; alors qu’il avait pourtant déjà été plus ou moins prévenu par l’Arcom pendant l’audition de l’été 2024… donc pourquoi il semble s’étonner que sa chaîne n’ait pas été reconduite, et va jusqu’à saisir le Conseil d’État pour contester la décision ? Tout comme les dirigeants de C8, n’allez pas me faire croire qu’il n’était pas au courant que sa chaîne était en danger, pour des raisons qu’il connaissait pourtant déjà…
En fait, quelque part, j’ai l’impression qu’il est davantage dans l’émotion de voir s’arrêter l’un des projets qui semblaient lui tenir le plus à cœur.
Car on sent qu’il tenait à avoir sa chaîne TNT, et à ce que son empire audiovisuel ne se cantonne pas qu’à la radio. Tentative qu’il avait d’ailleurs déjà essayé d’accomplir quelques décennies plus tôt, avec TV6 (en collaboration avec Publicis et Gaumont), qui fut annulée un an plus tard au profit de M6.
Et que, même au fond du trou, il ne voulait pas voir sa chaîne mourir, et voulait continuer à y croire. C’est certes beau ; mais, hélas, il fallait bien un moment où la réalité rattraperait l’idéal…
N’oublions pas l’appel d’offres et les nouvelles chaînes…
Enfin, ce qui m’ennuie également beaucoup avec toute cette histoire, c’est qu’à force de s’attarder sur le retrait de C8 et de NRJ12, c’est qu’on en oublie presque qu’à la base, l’idée n’était pas de « sanctionner » les chaînes en question.
Non, pour rappel, si des auditions et un appel d’offres ont été faits pendant l’été 2024, c’était parce que la convention des chaînes apparues en 2005 arrivait à son terme (20 ans) ; et que les fréquences étaient remises en jeu dans un cadre légal.
Autrement dit : les fréquences TNT n’appartiennent pas aux chaînes, mais sont une ressource publique, qu’elles ne font qu’emprunter. Et les conventions qu’elles signent auprès de l’Arcom ne garantissent en rien un droit de diffusion à vie.
En outre, le principe est non seulement de jauger les chaînes sortantes, pour voir s’il est intéressant de maintenir leur diffusion ; mais également de faire émerger de nouveaux projets, qui n’auraient probablement pas eu la chance autrement d’avoir une exposition sur la TNT.
Quant à simplement ajouter de nouvelles chaînes sans supprimer les anciennes : le nombre de fréquences disponibles n’est pas infini ; et même s’il l’était, le marché publicitaire des chaînes gratuites ne l’est pas non plus. Certains jugent même d’ailleurs (à raison selon moi) que la multiplicité des chaînes gratuites tend justement à réduire les recettes publicitaires et les ambitions des diffuseurs, par rapport à l’époque de l’analogique où le marché était plus concentré.
Donc je trouve que c’est même plutôt rassurant de voir que c’est possible d’attribuer des fréquences à des nouveaux entrants. Ça confirme que la procédure des appels d’offres a un intérêt.
Autrement, si on devait automatiquement renouveler l’existant sans se poser de questions, pourquoi de nouveaux acteurs voudraient-ils tenter leur chance, en sachant que c’est perdu d’avance parce que l’Arcom renouvellera aveuglément toutes les conventions existantes ?
Et je trouve même d’ailleurs encore plus rassurant de voir entrer sur la TNT des acteurs qui n’avaient pas encore de chaînes dessus, ce qui accroît encore davantage la diversité des médias qui y sont représentés. Alors que j’aurais clairement râlé si on avait laissé TF1 ou M6 avoir une énième chaîne supplémentaire, vu qu’ils n’exploitent déjà pas actuellement le plein potentiel de ce qu’ils ont déjà (à nouveau, coucou TF1 Séries Films et 6ter), et que ça n’aurait donc pas approfondi la diversité télévisuelle.
À l’heure actuelle où les deux nouveaux entrants retenus (CMI TV et OFTV) ne sont pas encore entrés en fonction, c’est évidemment difficile de jauger si elles en valaient la peine ou non. Tout ce qu’on a à disposition pour se faire une idée, ce sont les auditions auprès de l’Arcom, définissant les ambitions des projets.
Toutefois, ils ont quand même été choisis pour des raisons précises, parce que leur dossier semblait vraiment sérieux (surtout comparé à d’autres qui étaient parfois un peu lunaires…), et que l’Arcom a estimé qu’ils pouvaient apporter une certaine plus-value à la TNT. Donc attendons de voir.
Et pour finir, revenons sur l’argument des suppressions d’emplois des chaînes arrêtées que j’avais évoqué en introduction. Argument d’ailleurs avancé par Alexia Laroche-Joubert, que je vais me permettre de citer une dernière fois :
En revanche, il y a énormément de sociétés et un plan social de 200 personnes qui vont être virées à cause de cette décision et qui ne retrouveront pas de travail. La télévision est un peu en situation de crise.
Évidemment, je ne me réjouis pas de voir les techniciens et tous ceux qui faisaient tourner C8 et NRJ12 perdre leur emploi du jour au lendemain, et je souhaite pour eux qu’ils puissent rebondir le plus rapidement possible.
Toutefois, ce n’est pas un argument qu’on peut ressortir à toutes les sauces pour justifier le maintien du statu quo. En particulier dans ce cas de figure. Déjà, parce que, comme je le disais plus haut, le plan social est entièrement de la responsabilité des dirigeants de C8, qui n’auraient pas eu à en venir là s’ils avaient su mieux gérer leur chaîne.
Mais aussi car on aura certes des emplois supprimés d’une part ; mais également des emplois créés d’autre part, vu que les nouvelles chaînes prévues n’existent pas encore, et qu’il faudra donc du monde pour les lancer et les faire tourner, avec des embauches à la clé. Car, à nouveau, il ne faut pas regarder l’affaire uniquement via le prisme de l’arrêt de C8 et NRJ12, mais dans le contexte de l’appel d’offres et des potentiels nouveaux entrants.
Donc, non, ce n’est pas la décision de l’Arcom qui va mettre un tant soit peu la télévision “en situation de crise”. Au contraire, ça montre que le média reste dynamique et prêt à se renouveler.